Il n’y a qu’un pas pour atteindre la scène suivante et un second afin d’épouser ses désirs. Du « Faucon Maltais » à cette nouvelle croisade divine, John Huston repart à l’aventure. Déterminé à accompagner ses personnages jusqu’au bout de leur destinée, il dresse l’étendard du colonialisme britannique avec une certaine ferveur et un recul pertinent. Issue de la nouvelle de Rudyard Kipling, il est question de l’homme et son rapport au pouvoir, de manière dont il s’en sert ou les détourne pour l’intérêt, a priori commun. Deux soldats au service de sa majesté arpentent ainsi les routes vers la terre des infidèles, le Kafiristan (aujourd’hui Nouristan et province de l’Afghanistan), sanctuaire de leur ambition et de leur propre perte.


Il règne un climat de liberté et de possibilités autour de ces deux amis, Daniel Dravot (Sean Connery) et Peachy Carnehan (Michael Caine), qui partagent fièrement la franc-maçonnerie dans l’âme. Et comme le rite l’impose, après une initiation épineuse, un dieu naît parmi les mortels. Et pourtant, l’aventure sera longue, douteuse et douloureuse pour ces individus espiègles et très chanceux. Sur les traces mêmes d’Alexandre le Grand, le duo revendique la souveraineté, où tout le monde aura une part égale du butin, jusqu’à ce que Daniel se détache du lot et du contrat qui l’a amené au Eldorado. Il ne reste alors plus que la nature humaine, scindé entre folie des grandeurs et rationalisation absurde du succès. On le lit distinctement à travers les deux protagonistes, miroir et complémentaire l’un de l’autre. Ce qui constituait une amitié tend vers un individualisme propre à la mégalomanie des hommes, historique et trompeuse.


Ce n’est pas foncièrement grâce à l’intelligence du langage et de la diplomatie qu’on identifie les atouts des aventuriers. De bout en bout, la ruse et la crédulité de leur cible avaient de quoi les laisser flotter sur un nuage. Mais ils peuvent tomber de haut, à commencer par une désacralisation fatale. Le goût de l’aventure est raisonnablement confondu avec l’art de la guerre, ce qui expose avec brio, quelques failles qui font que les hommes saignent, de l’intérieur comme de l’extérieur. On travaille d’ailleurs toute sorte d’opposition, comme l’existence d’une flèche qui manque de peu le cœur, mais qui murmurera la direction et le parcours de celui qui se soumet à sa volonté. Malgré tout, cet exploit nous est partagé par le réalisateur et Christopher Plummer, qui tient justement le rôle de l’auteur dans ce récit. Chacun aura pu donner une pièce et miser sur la bonne fortune de Daniel et Peachy, au nom d’une amitié aussi éternelle que les cieux et les dieux.


Ainsi, le collectif triomphe toujours de la suprématie, du moins le temps d’un enchantement éphémère mais pertinent sur la scission de deux consciences, l’un au visage pâle, l’autre au teint plus scintillant. « L'Homme qui voulut être roi » constitue ainsi l’aventure d’une ascension et de sa chute, dont la trahison n’a d’égale que la vanité des hommes, à la fois égoïste et aveugle. Le portrait séduit et enchante, sans oublier de palper les valeurs qui comptent dans la cohabitation entre le colon et son serviteur. Et quand vient enfin la nuit, le conte finit par céder à nos caprices, en nous offrant ce que nous convoitions inconsciemment aux côtés des protagonistes, à savoir le retour d’une couronne, comme témoignage de leur réussite et de leur décadence.


Long live the king !

Cinememories
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le 29 nov. 2020

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