Magnifique ode à la ville de Lyon, L'horloger de St-Paul, premier long métrage de Tavernier, le présente d'emblée comme un cinéaste maîtrisant parfaitement son sujet, de l'aspect proprement technique à la dimension narrative. Traversé par un élan de révolte contenu, il peint l'état d'une société post-soixante-huitarde qui s'essouffle et va bientôt disparaître, et relègue en arrière-plan le récit policier, adaptation du roman de Simenon. Le tout desservi par un excellent Philippe Noiret.


Plus qu'un effet carte postale ou une succession de clichés, plus qu'un simple décor ou un arrière-plan, la ville de Lyon, à travers ses quais, ses pentes, ses traboules, ses places, ses rues et ses pavés, son quartier préservé du Vieux Lyon, sa cathédrale St-Jean Baptiste, son parc de la Tête d'Or, ses bouchons, sa cuisine, son vin, sa gouaille (le très bon Phillippe Noiret y participant fortement), ... la ville de Lyon prend vie, existe, devient personnage, participant ainsi à une écriture de l'espace, proprement moderne, comme Dos Passos qui a écrit New-York dans Manhattan Transfer, Baudelaire Paris ou Julien Gracq Nantes avec La forme d'une ville. Écriture de l'espace donc, pour, pourrait-on rajouter, le fixer dans le temps, tant “le cœur d'une ville change” au point qu'il faille l'art pour rendre éternel ce qui n'est qu'éphémère.


D'écriture il s'agit aussi, ou plutôt de réécriture, à propos du scénario, certes adapté d'un roman de Simenon, mais fortement transformé (crime non politique, délocalisation de l'histoire, …), en collaboration avec les expérimentés Jean Aurenche et Pierre Bost. Mais le coup de maître de Tavernier est d'avoir cherché à reléguer en arrière-plan le récit de roman policier, devenu prétexte à un regard transversal sur l'état de la société contemporaine: le journalisme (voyeuriste, manipulateur, à la recherche du scandale), le commerce de proximité et l'ambiance encore villageoise, l'amitié, la jeunesse plutôt révoltée post-soixante-huitarde opposée à une vieille France sclérosée, les belles filles de l'époque et leur mode, … .


Soulignons aussi les dialogues (malgré des prises de son parfois médiocres) souvent bons, drôles et touchants et où de nombreuses pointes d'humour viennent égayer une époque plutôt maussade, équilibrant le tout. D'équilibre pouvons-nous également parler en ce qui concerne le rythme, très maîtrisé, sans temps morts, repartissant la partition générale les thèmes de l'enquête, de ce qui relève de la vie privée (intérieurs, artisans au travail, réflexion sur la relation père/fils, …) et enfin de la vie publique (les amis, la ville).


Quoique sans trop d'audace (caméra à l'épaule peut-être), la mise en scène de Tavernier se révèle très travaillée, pertinente, intelligente et sait faire dialoguer la caméra avec le récit (travellings, contre-plongée, gros plans, panoramique, ...). Par ailleurs, l'image est généralement soignée, certaines prises de vue étant vraiment admirables (les phares qui avancent dans la nuit, les gros plans sur les artisans occupés à leur métier, …). Enfin notons aussi le très bon travail sur l'éclairage et la lumière naturelle.


Un coup de cœur, d'ancien gone, mais aussi et surtout de cinéphile.

Marlon_B
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 20 oct. 2017

Critique lue 228 fois

1 j'aime

Marlon_B

Écrit par

Critique lue 228 fois

1

D'autres avis sur L'Horloger de Saint-Paul

L'Horloger de Saint-Paul
Val_Cancun
8

Mystère et traboule de gomme

Ce n'est qu'au deuxième visionnage que j'ai vraiment "compris" et aimé "L'horloger de Saint-Paul", et malgré l'estime que je lui porte, ce n'est pas un film que je recommanderais, en particulier aux...

le 2 déc. 2020

45 j'aime

5

L'Horloger de Saint-Paul
Sergent_Pepper
8

La cendre du fils

Tavernier arrive tard au cinéma : il a derrière lui une carrière prolifique de critique, d’attaché de presse et d’assistant réalisateur avant de réaliser son premier film. Cette maturité explique...

le 12 avr. 2021

36 j'aime

1

L'Horloger de Saint-Paul
Moizi
7

Bertrand, fais causer tes acteurs plus fort !

L'horloger de Saint-Paul, premier film de Tavernier, possède déjà ce que j'aime le plus chez lui, à savoir les petites choses de la vie de tous les jours qui viennent immédiatement donner de la...

le 8 avr. 2021

24 j'aime

1

Du même critique

Call Me by Your Name
Marlon_B
5

Statue grecque bipède

Reconnaissons d'abord le mérite de Luca Guadagnino qui réussit à créer une ambiance - ce qui n'est pas aussi aisé qu'il ne le paraît - faite de nonchalance estivale, de moiteur sensuelle des corps et...

le 17 janv. 2018

30 j'aime

1

Lady Bird
Marlon_B
5

Girly, cheesy mais indie

Comédie romantique de ciné indé, au ton décalé, assez girly, un peu cheesy, pour grands enfants plutôt que pour adultes, bien américaine, séduisante grâce à ses acteurs (Saoirse Ronan est très...

le 17 janv. 2018

26 j'aime

2

Vitalina Varela
Marlon_B
4

Expérimental

Pedro Costa soulève l'éternel débat artistique opposant les précurseurs de la forme pure, esthètes radicaux comme purent l'être à titre d'exemple Mallarmé en poésie, Mondrian en peinture, Schönberg...

le 25 mars 2020

11 j'aime

11