Le kleenex de Beigbeder qui colle au bout des doigts

Nul doute que son créateur s'est bien fait plaisir à réaliser cet objet avant de nous le tendre en promettant qu'on va bien s'amuser avec cette comédie trash et politiquement incorrecte dans la lignée de 99 francs. Je dis dans la lignée, car le résultat est extrêmement loin de la qualité et du foisonnement de Kounen, qui au moins ne se foutait pas de son public, et octroyait à ses personnages quelques espaces personnels qui les rendaient un minimum sympathiques. Octave Parango campé par Dujardin avait le cynisme majestueux en créateur frustré. Chacun avait des côtés humains que le système de pub broyait, et dont les circonstances incitaient au mépris et à la surenchère, autant dans la médiocrité que dans le mépris. Ici, tous les personnages sont des merdes. Sans le moindre côté humain. Ce sont des coquilles vides que Beigbeder remplit de réflexes agaçants et de connerie notoire pour alourdir sans arrêt sa dénonciation de la pub. Car on n'a pas assez compris que les publicitaires c'était le mal, il fallait qu'on se tape le travelo qui dirige l'Oréal.


Tout est cheap, tout est cynique par défaut, tout est pathétique. Ce que Beigbeder n'a pas compris avec la dénonciation, c'est qu'elle ne suffit pas à une oeuvre, surtout si elle est aussi galvaudée. Et plutôt que de traiter son sujet avec sérieux (Kounen donnait des codes, des mécanismes, des contraintes logiques), le film se lance dans une surenchère trash un peu surréaliste, qui consistera l'essentiel du temps à dégager les candidates mannequins qui défilent durant les auditions en les insultant. En en rajoutant une couche sur le mépris affiché de tous les personnages. Mais voir des merdes constamment se faire écraser ou cracher sur les autres n'est pas ce qui constitue une dénonciation sérieuse. Pourtant, c'est ce que fait le film à longueur de temps, s'étalant dans des digressions inutiles, s'attardant sur les dérapages de ses caricatures... Ce film est un étalage de rien au service d'une dénonciation qui est à la mode ce que Le loup de wall street est au système bancaire : une dérobade. Et d'ailleurs, on n'est même pas sûr que le film assume sa dénonciation. Octave Parango cite Bernard Arnaud dans les 10 premières minutes (on s'inscrit dans le réel donc) puis part sur la firme de produits de beauté l'Idéal et se contentera de filmer un conseil général partagé entre les caves et les cyniques, tellement excessifs dans les deux cas que le lien avec la réalité est rompu. Dénoncer des caricatures, voilà une formule bien courageuse pour un film critique. Limite avant garde et tellement risqué commercialement !


Finalement, on ne rit pas tellement le niveau est tombé bas, on s'ennuie, on se demande quel sera le prochain caprice de Beigbeder (au train partouze, on est fixé), et on revoit quelques séquences déjà vues dans 99 francs (le PIB de la colombie, la gueule de bois, la conclusion...). La conclusion d'ailleurs, c'est une merveille. Kounen y faisait un peu souffrir son Octave avant de lui offrir la rédemption, et cela était tellement optimiste qu'il ne pouvait s'empêcher de la "désamorcer" avec une déconstruction photoshop de l'image. Ici, on a la même. Sans désamorçage, genre cette merde d'Octave a droit à une rédemption à la sortie de l'aéroport, lui qui n'a fait qu'exploiter les autres avant de se retirer de l'équation. Ca valait bien la peine de nous laisser insulter pendant une heure et demie, aussi bien dans la forme (encore moins travaillée que les pubs qu'il "dénonce") que dans le fond (je ne compte plus les fois où les personnages du film disent que les masses sont moches, stupides, sales...). Voir ces gamineries développées en film surprend clairement, et pas de la bonne manière. Espérons que c'était la dernière fois qu'on verra un tapin pareil.

Voracinéphile
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le 14 nov. 2016

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