L'Île aux chiens
7.7
L'Île aux chiens

Long-métrage d'animation de Wes Anderson (2018)

Est-il nécessaire d'aimer les chiens pour apprécier ce film? A en croire les volontaires d'ONG que l'on croise dans la rue et qui nous demandent si nous sommes sensibles à la cause des enfants avant de nous présenter leur association, la sensibilité est la condition de possibilité d'un engagement politique, d'un pas décidé vers l'autre. Dès lors, la sensibilité précède et rend possible l'engagement politique et celui-ci la parfait, la cultive et la porte à maturité. Il y a alors évolution. L'île aux chiens propose, quant à elle, une révolution. On retourne aux sources, à l'état d'enfant, à un un sentiment plus fondamental que la raison qui motive immédiatement l'action. Le spectateur fort de sa culture historique, qu'il investit peut être instinctivement, s'élève alors à une contemplation émerveillée de ce qui se joue devant lui et s'il garde sous la main une conscience politique, il la doit mettre de côté pour ne pas louper une dimension importante du film : sa valeur esthétique. C'est peut être là que réside l'indépendance de ce film; un trait à tirer sur le passé pour appréhender la nouveauté.


Si l'héritage est partout dans ce film, il n'est pas essentiel. Il nous situe d'emblée dans une histoire qui conditionne la fiction. Un cadre se pose : un Japon fantasmé où les chiens sont haïs depuis déjà longtemps et une période définie au début du film qui nous situe 20 ans dans le futur. Le maire de Megasaki (ville imaginée) décide de déporter tous les chiens sur une île sous prétexte qu'une maladie les rend dangereux. Le prétexte ne tient pas et la dimension arbitraire de cette décision rappelle celle de la solution finale sans s'y référer directement. Des échos décalés à notre histoire émaillent le film et les "champignons" qui émanent des explosions peuvent par associations d'idée faire penser à des bombes atomiques (miniatures). On se retrouve alors dans un film d'animation en stop-motion qui nous concerne en biais. On assiste à l'influence des médias sur la politique, on voit une déchetterie à ciel ouvert, des traductions qui s'appliquent aux Japonais mais aussi aux chiens, qui s'adressent à un public pas tout à fait déterminé et qui attestent de la circulation des informations à l'échelle internationale et donc d'un système médiatique mondialisé s'intéressant à la diplomatie. Le systême électoral est traité de manière éloquente son traitement nous parle peut-être de l'élection de Trump ou peut-être de l'élection de Hitler. 
Mais l'écran n'est pas tout à fait un miroir, il satisfait à moitié un besoin de repères chez le spectateur. Le Hokusai que l'on retrouve cache bien un Wes Andersen qui maîtrise son esthétique comme un marionnettiste, qui innove et offre une expérience audiovisuelle vraiment réussie. Il y a du merveilleux dans l'horrible, de la beauté dans une île-déchetterie, un langage (traduit) chez les chiens. La fiction captive parce qu'elle est en décalage avec la réalité. C'est du sein même de ce décalage que le film prend sa valeur, qu'une chance est donnée à la poésie, à la contemplation, à la sensiblité. Le spectateur devient crédule et naïf, finit par écouter ces chiens qui parlent et fait confiance à la jeune génération que le petit aviateur vraiment mignon incarne (entre autres).
C'est alors un feu d'artifice ! Tout est si beau, si parfait, si mignon et pourtant grave et donc encore plus beau, plus mignon, plus tendre. Les couleurs sont rares mais éclatante comme sur un sushi. La profondeur nous met face à cette mignoneté, elle n'est pas agressive mais artistiquement Wes Andersen et permet aux chiens de nous parler comme on parle aux volontaires d'ONG c'est à dire face à face, les yeux dans les yeux, paisiblement, honnêtement, calmement, à l'écoute en somme. Les chiens sont expressifs ! Ils sont mignons, animés par les voix de grands acteurs, individualisés. Mignons certes, mais pas comme nos chiens à nous autres vivant dans notre monde vraiment nul où les chiens sont considérés comme des peluches animés. Bien au contraire les chiens sont plus expressifs que les humains qui apparaissent comme des étrangers.
En effet l'humain est étrange. Quel étrange animal que l'humain en effet ! Déjà la fiction a lieu au Japon et les Japonais (par exemple lors des conférences du maire) sont traduits par une personnage traductrice directement dans le film. Les chiens sont Japonais leur aboiement est traduit en parole par les acteurs animant les chiens or les acteurs sont étasuniens ( à la base, commencez pas à chippoter) donc les chiens finissent par être anglophones ce qui est marrant puisque du coup ils ne comprennent pas le petit garçon qui parle japonais alors que la ficion se déroule au Japon et ils disent leur incompréhension en anglais (lol). Quel imbroglio! C'est la tour de babel ma foi. Les humains ont plein de langues différentes il faut les traduire et c'est chiant blablabla. La traduction parfaite est elle possible? Je me tâte. En tout cas ce qui est sûr c'est que les humains ne se comprennent pas toujours. Les adultes qui font de la diplomatie internationales ont besoins d'être traduit alors que les enfants (in fantes(celui qui ne parle pas en latin)) se comprennent via le coeur, les émotions, la sensibilité, leur attachement (l'un pour l'autre ou envers les chiens) et leur mignoneté. Peut on parler de communication mignonne ou d'éloquence de la mignoneté ? Je pense oui. Autre différence entre les enfants et les adultes et elle est de taille : les adultes font de la technologie et des robots et des chiens robots, ils se déconnectent de la nature pour la modifier, la nier, recréer un monde selon leurs critères alors que les enfants ils sont proches des animaux et de la nature. Ils fonctionnent par instinct, par sentiment et non pas grâce à une raison instrumentale.
C'est donc un conflit de valeur qui a lieu dans ce film. Un rapport technique au monde semble contré par le travail scientifique et s'opposer en définitive à un rapport naïf au monde centré sur le sentiment et la contemplation. Ainsi l'homme est cet animal qui doit être traduit, qui consomme, construit et délaisse, maîtrise une ingénierie institutionnelle et politique et que rien ne semble arrêter sauf peut-être le travail d'enquête mené par la jeune fille anglaise, la recherche du chien par le petit aviateur et le laboratoire scientifique qui étudie la maladie prétendue des chiens. Ce travail d'enquête répare les dégats, restaure un "ordre naturel" et recherche la vérité; il est une étape vers la contemplation dont on fait l'éloge ici et par laquelle les enfants passent pour appréhender le monde. C'est en effet la contemplation du spectateur qui permet de dépasser une lecture trop finaliste du film et de lui accorder une valeur en soi. Elle est permise par l'expressivité esthétique et sonore du film et par ce face à face récurrent du spectateur avec les personnages. Le spectateur est à l'écoute, ouvert à l'autre.
Enfin c'est peut être sous cet angle qu'il faut aborder la fin du film trop gentille et peu réaliste pour certains. Les enfants sont exemplaires, leurs capacités de compréhension (plus contemplative et intuitive que raisonnée) et d'appréhension de l'autre se passent du langage, ils deviennent des modèles pour le spectateur. Mais le film ne saurait être que didactique et finalisée par une sensibilisation des spectateurs, il est avant tout une fiction que l'on contemple comme telle et dont le décalage avec la réalité interdit les conclusions hâtives. C'est de là qu'il tient sa valeur en soi, dans l'indicible, dans l'incapacité de le finaliser, de le catégoriser comme film familial et s'adressant à tel public en délivrant tel message. Pour apprécier pleinement L'île aux chiens il faut lui faire confiance naïvement, avec crédulité en le regardant tel qu'il est et non tel qu'on veut qu'il soit. Il faut alors retrouver cette candeur enfantine et oublier ce qui a été dit plus haut.
En conclusion, le film est riche. Il est, pour ma part, une expérience inédite de cinéma. On le contemple et avec plaisir étant donné la qualité des décors, des personnages, des voix bref de l'animation, de son esthétique, de sa poésie. On apprend en acceptant de ne pas chercher à apprendre en entrant dans la salle. Et pour répondre à la question de départ : je n'ai pas à postuler que j'aime les chiens pour apprécier le film mais j'ai à les aimer. C'est beaucoup trop mignon. J'adore.
OursonDesPlaines
7

Créée

le 12 mai 2018

Critique lue 212 fois

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