L'Illusionniste par TheScreenAddict
Les Triplettes de Belleville était un OVNI dans le paysage du cinéma d'animation, à l'atmosphère unique, aux graphismes délicieusement rétro, aux élans poétiques saisissants. Presque une décennie plus tard, Chomet renouvelle l'exploit en proposant l'adaptation originale d'un scénario de Jacques Tati jamais mis en scène. Soit l'histoire tendre, drôle, mélancolique et cruelle d'un vieil illusionniste sur le déclin, contraint de s'exiler en Écosse, où il se fait le protecteur-mécène d'une petite femme de ménage.
Chomet change d'univers, mais il reste fidèle à des choix esthétiques résolument personnels : le film est presque entièrement muet, la majorité des dialogues se résumant à des baragouinages tour à tour hilarants et inquiétants, mais il reste prenant d'un bout à l'autre par la force visuelle de ses graphismes, par l'animation incroyablement expressive de ses personnages, rendus vivants par leurs seuls gestes, leurs seules mimiques. Si l'identification n'est pas immédiate, à cause de l'absence de dialogues, une émotion bien réelle finit par nous saisir face aux destins croisés d'une impressionnante galerie de saltimbanques, comme ce ventriloque réduit à l'état de clochard faute de public, contraint de vendre sa marionnette (c'est-à-dire tout son art) pour éviter de mourir de faim. Pas misérabiliste pour un sou, le film de Chomet est une poignante métaphore pleine de rage et de tristesse sur la mise à mort actuelle de l'artiste, dévoré par le futile empire du fric. Plus mélancolique que pessimiste, il dessine un véritable portrait d'artiste à travers les différentes figures qu'il dépeint (acrobates, magiciens, ventriloques...), dernier bastion humain de créativité, d'humilité, de passion, de générosité, d'ouverture et de fraternité.
A une maladresse numérique près (hideux travelling circulaire autour d'une ville), le nouveau conte de Chomet se révèle d'une perfection visuelle prolongée par un fond saisissant de maturité, venant heureusement contrebalancer la mièvrerie habituelle d'une large part du cinéma d'animation. Le réalisateur des Triplettes de Belleville signe là une authentique œuvre d'art et confirme ainsi son statut d'auteur, démarquant sa création au point de la rendre inoubliable.
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