Il y a quelque chose de pourri au royaume de la pègre marseillaise. Le parrain Charlie Matteï se fait flinguer dans un parking souterrain, au beau milieu de sa retraite, presque sous les yeux de son fils. Sans raison apparente. Par des sbires encagoulés à la solde de son meilleur ami, lui aussi mafieux. Dans les méandres d'une cité phocéenne où les vautours du crime se déchirent entre eux, Matteï ressuscité va traquer sans relâche ses assassins. Une remontée sanglante et brutale dans la chaîne alimentaire des malfrats.

Le film de Richard Berry ne fait pas dans l'originalité. Il se contente d'adhérer aux aspérités d'un récit de vengeance tout à fait classique. C'est efficace, parfois insoutenable de violence, un peu émouvant. Mais c'est malheureusement très impersonnel. La vendetta mise en scène par Berry flirte en permanence avec un style hollywoodien de plus en plus à la mode : les scènes d'action, réglées comme un métronome, adoptent systématiquement un montage épileptique voire stroboscopique, enchaînant des plans d'une demie seconde, aux images saccadées, empesées de ralentis ultra-sacralisés. On a déjà vu ça quelque part... Le Transporteur, Danny the Dog... Rien de surprenant, L'Immortel est une mouture de l'écurie EuropaCorp, la société de Luc Besson. L'esthétique à peine francisée d'une action à l'hollywoodienne semble être la marque de fabrique de ces films virils destinés à un public très mâle, en quête d'icônes testostéronées.

On mesure alors d'emblée le déséquilibre flagrant qui pèse sur le film. Le style bessonien sied mal à la fresque de rédemption intimiste imaginée par Berry. Plus précisément, on voit se mettre en place, de scènes en scènes, l'écart malheureux entre une surenchère pénible et le jeu tout en rage rentrée et finalement très touchant de Jean Reno. Car le point fort du film, c'est lui. Son corps mutilé, fracassé, éternellement renaissant. Son regard brisé, angoissé, ses yeux de loup traqué dévolu à sa meute de protégés. Jean Reno se révèle d'une grande justesse, conférant à son rôle une troublante dimension christique. Son Charlie Matteï est un être presque surnaturel, hantant la caméra tel un martyr fantomatique. Un guerrier qui n'est plus que l'ombre, le murmure de lui-même. Magnifique.

La puissance de son jeu souligne donc les excès de la mise en scène, en même temps que l'erreur de casting la plus énorme du film : Kad Merad. La présence de l'acteur n'est qu'un insipide placement de produit, uniquement destiné à booster le nombre d'entrées. Certains ont décrété qu'il jouait mal. C'est pire ! Il ne joue simplement pas. Trop peu d'épaules pour un rôle aussi imposant que celui d'un parrain. Comble de la désincarnation, son personnage de grand méchant est d'une transparence ahurissante, s'effaçant totalement face à l'aura incandescente de Jean Reno, se faisant même voler la vedette par des seconds rôles plus impliqués que lui, Jean-Pierre Darroussin et Marina Foïs en tête. Ridicule, quand il débite des poncifs métaphysiques dans sa cuisine en préparant du café : « Le mal est en nous, il faut l'accepter... »

Restent l'atmosphère plutôt hypnotique, le climat de tension permanente et les éclats de violence d'un réalisme et d'une crudité laissant au bord de la nausée. L'Immortel est un film très efficace à défaut d'être vraiment marquant, bancal sans être un total ratage. Plus « Besson » que « Berry », comme on peut l'entendre lors de la séquence finale, bercée par un Lucia di Lammermoor, irrémédiablement affilié, dans nos consciences, au Cinquième Élément...
TheScreenAddict
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le 6 août 2010

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