Ce film est tellement caricaturalement grotesque qu'il mérite une petite remise au point historique sérieuse, car à aucun endroit dans le film on n'explique les CAUSES de cette famine en Ukraine: un projet soviétique d'exterminer sciemment son peuple??? cette hypothèse n'est pas sérieuse!


Mais la lecture de ces deux textes sera sans doute plus objectivement éclairante:


" Le film se place en effet entièrement du point de vue du journaliste gallois ayant enquêté sur la famine en Ukraine en mars 1933. Pourtant, au grand dam de ses généreux contributeurs, ce film qui se prétend un hommage à la vérité vraie et de ses courageux défenseurs a déjà fait l’objet d’un démontage en règle exprimé par… rien de moins que la famille du principal protagoniste. Il ne faut évidemment pas compter sur la presse française pour relayer ce désaveu. Néanmoins l’article ne venait pas d’une source marginale puisqu’il est publié dans les colonnes du Sunday Times, supplément dominical du célèbre quotidien, et est signé par le petit-neveu du journaliste gallois. Lequel a pu s’appuyer sur les travaux importants réalisés par sa mère, Dr. Margaret Siriol Colley, qui avait de son vivant contribué à rassembler les archives de Gareth Jones.
Ces divers travaux avaient d’ailleurs fait l’objet de toute l’attention du gouvernement ukrainien qui a, depuis, fait du journaliste quasi inconnu un héros de l’Ukraine. Las, malgré ces honneurs rendus, la famille n’est guère ravie par la présentation qui est faite de leur aïeul et le petit-neveu juge que, contrairement à ce que raconte le film"


"[Gareth Jones] n’a vu ni cadavres ni cannibalisme et s’est encore moins livré à des actes cannibales; il n’a jamais vu de réquisitions de blé, de travaux forcés ou encore de charrettes de cadavres ; il n’a jamais été poursuivi, ne s’est jamais enfui, caché ou déguisé durant sa marche le long de la voie ferrée. Il n’a jamais été emprisonné. Loin de ce qu’affirme le film, je ne pense pas qu’il se soit jamais senti en bien grand danger, protégé qu’il était par sa connaissance courante du russe, son charme et son visa gratis de personnage officiel [pour son voyage en Russie, Gareth Jones bénéficiait entre autres d’une lettre de recommandation de Lloyd George lui-même, n.d.r.]. De plus le schéma narratif de la rencontre entre Gareth George Orwell n’est tout simplement pas vrai, malgré les efforts de James Norton [l’acteur qui joue le rôle-titre, n.d.r.] et des cinéastes pour présenter les choses autrement. De même l’idée que Gareth aurait inspiré La Ferme des Animaux n’est nullement prouvée.
Internet est déjà jonché de contre-vérités résultant de ce film : que Gareth était “un diplomate gallois qui travaillait pour Chamberlain et avait un jour interviewé Hitler ” (ce qu’il n’était pas et ce qu’il n’a pas fait); qu’il a rencontré George Orwell (ce qu’il n’a pas fait); qu’il est venu en Russie pour interviewer Staline (ce n’est pas le cas); qu’il a été assassiné par les Soviétiques (il n’y a pas de preuves concluantes de cela). Les cinéastes ont reconnu que Gareth n’avait pas été le témoin des événements décrits dans leur film mais m’ont dit qu’ils se sentaient autorisés à se servir de lui pour brosser leur version de ce qui s’était passé pendant l’Holodomor (nom donné à la thèse de la famine génocidaire en ukranien)"


Maintenant les causes de la famine en Ukraine, remise au point historique:


"La famine de 1933 intervient dans un contexte de menaces extérieures (crises de 1929, agressivité du Japon, montée du nazisme) qui expliquent les actions du gouvernement soviétique pour tenter de faire des stocks de céréales et son impossibilité de stopper totalement ses exportations, à la fois en raison de la guerre économique qu’il devait affronter de la part du monde capitaliste, à la fois en raison de la nécessité d’industrialiser rapidement le pays pour faire face à la guerre contre le fascisme déjà évidente au début des années 1930.
Avec la crise économique de 1932, l’URSS n’a pas pu importer la totalité des centaines de milliers de tracteurs qui devaient équiper les fermes collectives- ces tracteurs n’étant pas livrés par l’Occident – tandis que les bêtes de somme sont en constante diminution, notamment du fait du manque de soins accompagnant la collectivisation.
Elle se produit également dans un contexte de tensions intérieures avec une mutation rapide du monde agricole, la création des kolkhozes, qui perturbe le cycle de rotation des cultures, et dont les changements ne se font pas sans opposition ou difficulté d’organisation.
la famine touche la plupart des régions soviétiques, et pas seulement l’Ukraine et les zones rurales, mais bien différentes régions de Russie, du Kazakhstan, de Sibérie, ainsi que les villes, de 1931 à 1933. Il est donc faux de dire que la famine a été dirigée contre l’Ukraine
La famine de la fin 1932 jusqu’à l’été 1933 est principalement expliquée par les très mauvaises récoltes de 1931 et de 1932, celles-ci ne permettent pas d’assurer l’autonomie alimentaire de l’URSS pour la soudure du printemps / été 1933
En 1931, une sécheresse redoutable frappe, avec de terribles épisodes de sukkovei. Dans la Volga centrale les vents chauds et secs soufflent durant 35 jours ! La situation météo est bien pire que celle causant la famine de 1921. Dans certaines régions, la situation est aggravée par des pluies exceptionnelles sévissant au moment de la moisson. Alors que le plan avait évalué à 97 millions de tonnes la récole, celle-ci n’aura atteint que 69 millions de tonnes. Soit une quinzaine de millions de tonnes de moins qu’en 1930. En conséquence le Politburo, le 28 octobre, sous la direction de Staline, décide la réduction du plan de collecte des régions les plus touchées de plus de 2 millions de tonnes (pour la Volga, l’Oural, la Sibérie et le Kazakhstan), augmentant celles des régions moins touchées de 0.49 millions de tonnes. À noter que le quota de l’Ukraine ne fut pas touché.
Avec cette mauvaise récolte, les paysans des régions touchées voient leurs revenus baisser avec pour conséquences une baisse du travail réalisés dans les champs en 1932 par les exploitations privées, tandis que dans les fermes collectives en construction, la discipline au travail est encore faible. En conséquence, le Politburo décide de l’allocation d’aide en nourriture en 1931/1932 aux paysans. Également une avance sur la récolte de l’été 1932 est consentie dans les fermes collectives, sur la base des jours travaillés.
La culture de blé d’hiver semé en 1931 pour être récolté en 1932 est frappée lors des semages d’automne en septembre et octobre par un froid précoce. Pour les semages de printemps, la mauvaise récolte de 1931 conduit à une tension sur les semences. En mars 1932, les exportations sont stoppées, une aide d’1 million de tonnes de semences accordées aux régions touchées par la sécheresse de 1931. Une aide de 110 000 tonnes de semences est accordées dès la mi-mars à l’Ukraine. Des aides supplémentaires sont accordées au mois d’avril, alors que le Politburo suit avec attention la situation de l’Ukraine. Une mission d’urgence dépêchée sur place à la fin mai obtient une aide supplémentaire de 41 000 tonnes de semences. Au total, c’est 1.3 million de tonnes de semences qui sont dispatchées comme aide d’urgence depuis les réserves gouvernementales au printemps 1932.
Les difficultés résultants de la mauvaise récolte de 1931, de la désorganisation liée à la collectivisation, de la baisse du nombre d’animaux de traits – aggravée par une épidémie de méningites, mal compensée par l’équipement en tracteurs aboutissent à des retards dans l’ensemencement du printemps 1932 affectant les rendements.
La situation climatique de 1932 est également très mauvaise avec un mois de mars très froid tandis que le mois de juin est particulièrement chaud. Pire même qu’en 1931 en Ukraine. Les champs sont également, comme en Europe de l’est, touchés par une violente infection fongique.
Alors que la récolte prévue devait atteindre 90 millions de tonnes, avec un rendement de 850 kg à l’hectare, dès le mois de juin, il apparaît que le rendement sera moindre et la récolte est ré-estimée à 75 millions de tonnes. D’après l’expertise menée à l’été 1933, elle n’aura été que de 65 millions de tonnes avec des rendements faibles de 670 kg/ha. Témoignant d’une récolte encore plus mauvaise qu’en 1931.
Dès le mois d’août, des réductions de la collecte de céréales sont décidées. par exemple, en Ukraine, le plan de collecte est réduit à plusieurs reprises, de 655 000 tonnes ; au total, le plan de collecte de 1932 aura été réduit de 3 millions de tonnes à 17,53 millions. Soit le quart de la récolte. À la fin de l’année 1932, le gouvernement prend des mesures drastiques de réduction des exportations, et réduit les attributions en céréales et fourrages de différents secteurs y compris pour l’Armée Rouge.
Le déficit cumulé de 1931 et 1932, atteint la moitié d’une récolte annuelle. Expliquant pleinement la crise de famine de 1933, qui prit fin avec la bonne récolte de l’été 1933.
Cette bonne récolte, alors que la campagne agricole de 1933 est marquée par les difficultés très importantes de 1932 et du printemps 1933 illustre le rôle indubitablement majeur des variations climatiques très défavorables de 1931-32 dans ces mauvaises récoltes et la famine en résultant, même si ce n’est pas la seule cause.
le gouvernement soviétique a fait des choix difficiles compte tenu de cette situation dramatique : mais une aide significative (plus de 3,5 millions de tonnes en deux ans, soit rapportés à la population des secteurs touchés environ 40 kg de grains par habitant pour chacune des années) a été apportée aux régions touchées, y compris à l’Ukraine rurale.
de façon parallèle à la pénurie de nourriture, une violente épidémie de typhus a sévi durant les années 1932 et 1933 avec 1 millions de cas déclarés contribuant à la mortalité.
la surmortalité de 1930 à 1933 est parfois estimée entre 4 et 6 millions de morts, sur la base d’une simple analyse du déficit démographique correspondant à cette période. Observons que sur la même période, d’après les recensements publiés par les USA, c’est un déficit de 10.3 millions de personnes dans la décennie suivant la crise de 1929. Avec les même calculs que ceux de Conquest et de ceux prétendant que la famine de 1932-33 aurait fait 10 millions de morts en Ukraine, on conclurait qu’une famine similaires a fait 10 millions de morts aux USA.......... etc..........

Juliette-Cinoche
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le 17 juil. 2020

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