Décrire un paysage pour parler de soi, donner "de la pure présence" en faisant disparaître la première personne: "L'Amour est un crime parfait" est un film où l'on n'arrête pas de théoriser sur l'écriture. C'est ce que fait Marc (Mathieu Amalric) : il donne des cours de "creative writing" dans une université suisse ultramoderne.
Mais de quelle écriture parle-t-on? Celle d'un texte ou celle d'un film? A travers les cours d'écriture de Marc, je ne peux m'empêcher de voir ce que les Larrieu veulent dire sur leur façon d'écrire un film. Et ce qu'ils disent est particulièrement intéressant: ils disent qu'il faut revenir aux paysages (et c'est ce qu'ils font), ils disent qu'il faut en finir avec le cinéma du "moi", cinéma de "l'histoire vraie". "C'est mon histoire", a dit Guillaume Gallienne à propos de "Guillaume et les garçons à table"; "c'est notre histoire", ont dit Valerie Donzelli et Jeremie Elkaim au moment de la sortie de "La Guerre est déclarée". Et si toutes ces "histoires" ne nous intéressaient pas? Et si ce cinéma du "moi" avait fini par nous écoeurer? Et si l'obscénité dont on parle en ce moment à propos de Nymphomaniac se trouvait plutôt dans ces films où les auteurs ont besoin du spectateur pour procéder à une catharsis qui ne concerne qu'eux?
Le film des Larrieu me plaît parce qu'il se situe à l'opposé de ce cinéma narcissique que je ne peux plus voir. Il cultive sa très grande bizarrerie et celle-ci se ressent partout: dans le jeu des acteurs, qui sonne faux, dans les dialogues, très inégaux, dans le traitement des décors et des paysages, dans le choix des musiques. On est parfois dans une autre dimension, qui n'a rien à voir avec le "naturalisme" français, concept vide par lequel on essaie d'ériger aujourd'hui la misère esthétique de certains films d'ici en posture.
Dans son dernier quart d'heure pourtant, le film revient vers une sorte de "droit chemin": il se termine au bord d'un lac, dans un bungalow qui ressemble à n'importe quelle chambre d'hôtel, ou à n'importe quel appartement de film français moyen. Et là commence quelque chose qui ressemble en effet à un très mauvais film français, mais ce film n'aura pas le temps de naître: tout va brûler, personnage et décor.
On peut trouver cette fin maladroite, mauvaise (et elle l'est, si l'on s'en tient strictement à l'histoire), on peut aussi y voir une sorte de signal, comme si les Larrieu voulaient dire, très simplement, très radicalement aussi, qu'ils n'iraient pas plus loin sur cette pente-là, celle du mauvais cinéma français, avec ses histoires d'amour, ses crises de larmes, son pathos. A cette pente raide sur laquelle le film se laisse un peu glisser, ils préfèrent les montagnes enneigées, les chalets, les "buffets nordiques" et les routes tortueuses. Un tel désir d'étrangeté est rare, c'est ce désir qui porte le film, c'est ce désir qui le rend si précieux.