Sans vouloir et encore moins pouvoir enfermer ce film singulier dans une comparaison, il n’en est pas moins vrai que L’Ornithologue de João Pedro Rodrigues a des airs de famille avec Les Métamorphoses de Christophe Honoré. Les mêmes liens très forts avec la nature la plus sauvage, la même inspiration mythique joyeusement revisitée, la même caméra carressante, désirante même… Mais le film du cinéaste portugais a ses propres territoires, une terra incognita, que peu de réalisateurs ont défriché de la même manière que João Pedro Rodrigues.


La métamorphose est par ailleurs au centre du film. Fernando, un ornithologue solitaire et secret chemine sur un parcours semé de rencontres hallucinantes et se transforme petit à petit en un Antonio mystique à la fin du récit. Absorbé par l’observation des oiseaux au travers de ses jumelles, comme hypnotisé par le regard de tel grand-duc ou de tel rapace dont les yeux, grâce à des prises de vue précises et à un montage intelligent, semblent le transpercer, Fernando loupe le coche et entraîne son kayak dans les tumultes de rapides meurtriers. Echoué sur les bords du Douro, il fera des rencontres de plus en plus improbables, de plus en plus détachées de la réalité, depuis ces chinoises sans doute lesbiennes et ferventes catholiques qui se sont éloignées de leur chemin de Compostelle, jusqu’à ces cavalières seins nus et latinistes semblant tout droit sorties de la mythologie de Diane chasseresse, malgré leurs fusils dernier cri, en passant par de sortes de carteros à l’allure démoniaque, cette dernière rencontre faisant penser au Post Lux Tenebras de Carlos Reygadas.


Les portugais et les érudits reconnaîtront dans le métrage les éléments de la vie de Saint Antoine de Padoue, le Saint patron de Lisbonne, mais cuisinés à la sauce piquante. Le bateau de Saint-Antoine (né au XIIIe s. Fernando Martins de Bulhões) de retour du Maroc s’est fracassé sur les côtes de la Sicile ? Ainsi commence les aventures de Fernando. Il est réputé pour avoir tenu l’Enfant Jésus dans ses bras ? Fernando aussi, et de quelle audacieuse façon ! Saint-Antoine prêche aux poissons ? Fernando aussi, qui leur adresse un texte de toute beauté. João Pedro Rodrigues profite donc de cette histoire incroyablement importante pour le Portugal pour raconter à sa manière une métamorphose, son sujet récurrent, et plus précisément sa métamorphose, lui l’ornithologue dans une autre vie et qu’on retrouve furtivement à la place de l’acteur français Paul Hamy qui incarne Fernando.


Commençant très gentiment comme un documentaire animalier, avec des prises sublimes d’un couple de grèbes huppés se relayant à la couvade et filmés d’une manière presque sensuelle, L’Ornithologue passe par tous les états : un western moderne avec un excellent Paul Hamy en guise de lonesome cowboy, film de suspense, voire d’horreur à ses heures, (homo)érotique assurément (douche dorée, BDSM), mystique avec sa colombe de la pentecôte, métaphysique, et on en passe. La recherche de João Pedro Rodrigues est fouillée, multiple, le cinéaste explore tout ce qu’il peut. Relativement contemplatif, passablement étrange, le film pourtant ne lasse jamais, tant il foisonne de mille idées, dans une atmosphère hyper tendue, y compris dans les moments où le protagoniste semble à l’abandon, dans cette quête qui traverse les couches de sa conscience, et où le cinéaste lui-même semble également s’être trouvé, en tant qu’homme et en tant que cinéaste.


L’Ornithologue est un film fascinant, le genre qui hantera le spectateur (« What the fuck did I just see ? ») longtemps, le genre qui distille ses trésors jour après jour, le genre qui mérite tout simplement les récompenses, à Locarno notamment en tant que meilleur réalisateur. A ne pas rater !

Bea_Dls
9
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le 5 déc. 2016

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Bea Dls

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