Au départ, on tenait un drame introspectif sur un petit caïd qui profite de ses dernières 24 heures de liberté pour faire le point sur sa vie. Au final, on se retrouve avec un poème enfiévré sur un New York au point mort. Le roman a beau avoir été publié avant, son spectre hante tout le film. Comme une présence fantomatique collée aux basques de Montgomery (Edward Norton, formidable) alors qu'il déambule dans les rues d'une métropole convalescente. Comme lui, la ville qui ne dort jamais est en suspens, tiraillée par la douleur du passé et la vision trouble de l'avenir. Comme lui, elle se demande comment les choses ont-elles pu se briser et comment les réparer ? Un homme au bout de la route, mais c'est tout son environnement qui semble laissé au bord du chemin. Toutes ces silhouettes qui trimballent la même angoisse, partage une même souffrance. C'est dans leurs regards. Pas de doute, le 11 septembre est passé par là.
Par bien des aspects, La 25ème heure est le film le plus bouleversant de Spike Lee. Un requiem d'une force prodigieuse en cela que l'hommage aux innombrables victimes de ce jour noir se fond admirablement dans le récit d'un homme en sursis. Le cinéaste joue habilement sur les contrastes entre les couleurs vives (voire saturées) et les personnages mornes. Tristes oui, et de mauvaise humeur. L'heure est au grand déballage, pour eux et pour Lee. L'occasion de nous apercevoir que si les mines de chien battu est trompeuse, le bestiau peut encore mordre bien fort. Le tour de force du film est de faire de son monologue enragé sur la Grosse Pomme un hymne à la ville cosmopolite, par un sublime jeu d'échos qui culmine dans un final terrassant. À ranger parmi les plus belles scènes de la filmo de son auteur et de son interprète. Rassurez-vous, les personnages secondaires ne sont pas plus mal lotis : Barry Pepper trouve l'un de ses plus beaux rôles ici, tout comme Rosario Dawson et le regretté Phillip Seymour Hoffman. Brian Cox quant à lui se réserve le soin de marquer au fer rouge le film dans sa dernière partie. Terrence Blanchard donne de sublimes accents de tragédie à la bande originale, à la fois jazzy et orchestrale (le thème principal est somptueux).
La 25ème Heure représente ce moment décisif, entre la méditation et le besoin d'exorciser un mal qui paralyse. Cette dernière journée d'introspection, Montgomery (ou Spike Lee) la partage avec New York. Non pas pour se résigner, mais pour dire que ce qui a été ou ce qui aurait pu être ne doit pas occulter ce qui est ou ce qui se profile. Ce qui fait du film un flamboyant hommage à une vie qui ne doit pas se laisser ensevelir.