Pour son premier long-métrage, Jean Cocteau crée un conte de fées moderne, monument du 7ème art.

Pour les 50 ans de la mort de Jean Cocteau, Arte a diffusé "La belle et la bête" en version restaurée suivie par le documentaire "Cocteau-Marais, un couple mythique" il y a un mois environ. France 2, quant à elle, a rediffusé "Les parents terribles" tout juste avant "La belle et la bête". A la radio, RTL a annoncé l'ouverture de l'exposition "méditerranéenne" à Menton, fief de Cocteau, dès le jour de l'anniversaire de sa mort. En véritable artiste de son temps (poète, romancier, dramaturge, homme de théâtre, cinéaste...), Jean Cocteau reste une référence du genre. Son premier film, le moyen-métrage "Le sang d'un poète" (1930), non-moins connu d'ailleurs, est tiré de son imagination. Associé au surréalisme, "Le sang d'un poète" est non seulement une œuvre expérimentale, mais il est considéré comme son film le plus personnel. "La belle et la bête", en production dès 1945, marque son retour derrière la caméra. Il s'agit de son deuxième film et premier long-métrage. "La belle et la bête" a été restaurée en copie numérique puis est ressortie en salles courant septembre 2013, soit 67 ans après sa première sortie nationale (1946). Le film ayant été tourné tout juste après la Guerre, Jean Cocteau rencontra plusieurs problèmes techniques : pellicules manquantes, pannes de courant, absence de courant. Il fut aussi contraint de travailler sous la torture en raison de sa maladie de peau. Hospitalisé et guéri durant le tournage, il réussit à finaliser le film tant bien que mal (Jean Marais avait été mobilisé par l'armée). Mais revenons un peu plus sur le film en lui-même, premier pour Cocteau donc ! "La belle et la bête" prend origine du conte français de Madame Jeanne-Marie Leprince de Beaumont. Histoire (connu de tous d'ailleurs) : pour sauver son père qui a osé volé une rose sur les terres du château de la Bête, Belle va devoir vivre avec la Bête... . Véritable hymne à la liberté, Jean Cocteau prend ses aises et nous balance sa magie à tout bout de champ. Aaah Cocteau... Jean Cocteau ! Et ses premiers amours de peindre un monde désenchanté ! Super !! Réaliste dans sa dose de fantastique, il délivre la Bête de la bestialité qu'elle avait dès qu'on la rencontre. Le père (magnifique composition de Marcel André par ailleurs) est le premier à avoir peur et propose à la Bête de lui envoyer sa fille Belle (l'éclatante Josette Day) pour se racheter de son méfait. La Bête accepte et tombe amoureuse de Belle. Véritable "Roméo et Juliette" de par ses accents enchanteurs, Cocteau appuie là où ça fait mal. La Bête devient naïve (donc belle) rendant Belle bête face à ses sœurs toujours plus mesquines et radines à souhait (j'en profite pour dire que les actrices (les sœurs) jouent bien). Cocteau met ainsi un point d'honneur à inverser les rôles principaux et faire de cette dualité un assemblement particulier, celui du mariage. En cela, la scène finale clôt admirablement le conte entamé par le génie de Cocteau. Du très beau boulot ! "Il était une fois une fois... Jean Cocteau." Une histoire merveilleuse et malgré tout fantastique car dominé par un Jean Marais époustouflant de vérité. Exceptionnel ! De plus, parachevant avec sa mise en scène, Cocteau propose et crée de sa patte un monde merveilleux en acceptant les partitions de Georges Auric (compositeur sur "Orage" d'Allégret, "Le salaire de la peur" et tant d'autres...)(toutes aussi sublimes les unes que les autres sauf pour le final qui se fait vieillot), les costumes bestiaux de Christian Bérard (il s'agit de sa seule incursion cinématographique à ce poste)(maquillages, perruques, tenues et coutures (de Pierre Cardin !!, alors à ses débuts !) superbes), les décors gargantuesques (même si l'on reste dans les mêmes pièces du château, le sens du détail est on ne peut mieux aiguisé), les effets visuels et spéciaux (maîtrisés à la perfection, n'en déplaise aux diamants de Belle !), la photographie de Henri Alekan (il a continué à travaillé la photo pour Duvivier ("Anna Karenina"), "Les parisiennes" (avec Johnny)...)(un N&B épuré et stylisé) et des couleurs rafraichissantes à souhait (Josette Day illuminant et traduisant à merveille le rêve qu'elle nous fait vivre) ! Un conte de fées moderne qui puise son originalité dans nos peurs les plus profondes. Tiens, encore un antagonisme ! J'ai l'impression que Cocteau sait tellement bien jouer avec eux qu'ils les marient avec intelligence et parcimonie. Je peux ainsi dire qu'il s'agit d'un maître en la matière, et ce, seulement pour sa première réalisation !!! Je termine avec le casting, féerique au possible : Jean Marais (véritable trogne d’époque : "Orphée", "Le bossu", "Fantômas"...), excellentissime dans un triple rôle (Avenant, la Bête et le prince), Josette Day (déjà vue chez Pagnol dans "La fille du puisatier"), éclaboussante de lumière, sublimissible, Marcel André (on a pu le voir dans "Hôtel du nord" et "Thérèse Raquin", tous deux de Carné !), magnifique dans le rôle du père, et Michel Auclair en bon jeune premier (il tourna ensuite pour Clouzot ("Manon"), Grangier...). Pour terminer, "La belle et la bête" est un film d'auteur à part entière. Considéré comme le seul chef d’œuvre de Jean Cocteau, le film restera à jamais dans les annales du cinéma français, et fait partie, comme le "King Kong" de 1933 chez nos voisins américains, des monuments du septième art. Un film mythique qui se verra adapté plusieurs fois dont la version de 1992 signé Walt Disney. Notes : l'assistant-réalisateur n'est autre que René Clément, le futur réalisateur de "Paris brûle-t-il" !! De plus, "La belle et la bête" a remporté le Prix Louis-Delluc lors de sa cinquième édition. Spectateurs, le spectacle est garanti. Envoûtons-nous !

brunodinah
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le 10 mai 2019

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