Après trois visionnages, je sais que je déteste ce film, tant le portrait sociétal qu’il dresse se révèle d’une injustice inqualifiable. Pas pour son personnage principal, mais pour l'ensemble de l'humanité. Il est question d’injustice pendant une heure trois quart, et vous allez en avoir pour votre argent. Si le personnage de Lukas s’attire évidemment notre pitié et notre compassion (blessé dans son honneur, raillé, battu, meurtris, et pourtant espérant toujours parvenir à faire éclater la vérité), nous sommes dans un contexte proche de l’excellent Présumé innocent, sauf que ce ne sont plus les institutions judiciaires qui sont en cause, mais bel et bien la société entière. L’école, les commerces, les passants… Tous des gens qui n’attendent que la première occasion pour faire éclater leur petite haine, leur mesquinerie, leur brutalité de beauf crasseux qu’ils avaient maladroitement caché sous leur petit pull en laine et leur façade amicale. Si la mise en place des évènements est tout à fait logique (le personnage de la petite fille est très bien introduit, de même que ses réactions en face des évènements qui se combinent), ce sont les réactions des adultes qui sont toutes aberrantes. La directrice, véritable rombière putrescente qui se cache derrière ses lunettes, confronte Lukas sans lui donner aucun moyen de se défendre (car refusant de lui révéler les faits), et faisant éclater sa cruauté tentaculaire en téléphonant aux proches de Lukas dès que les soupçons sont confirmés (et à ce stade, on parle toujours de soupçons, rien de valide, aucune preuve). Les pères de familles gonflent alors les pectoraux pour taper sur le prétendu pédophile, les gérants de magasin refusent de le servir et le virent à coup de poing sans la moindre explication, les parents de la gamine, pourtant ami avec Lukas depuis des années, refusent de lui parler, et pour la maigre chance de dialogue qui lui est laissée au tout début de l’affaire, le père trouve raisonnable de picoler pendant le dialogue, histoire d’avoir les idées bien claires pour un problème aussi grave. Il semble que le bon sens ait complètement disparu de la société qu’illustre cette Chasse, au point de détruire un individu avant même toute tentative de poursuit judiciaire. Certes, le film joue énormément sur ce refus du dialogue avec l’accusé, que tout le monde semble se faire un devoir de perpétuer en se planquant derrière une outrance complètement feinte qui permet surtout de pouvoir taper gratuitement sur Mads Mikkelsen. Et que se passe-t-il quand il est innocenté ? Ben, on le regarde toujours en coin, mais on lui sourit maintenant. Oui, c’est effectivement réaliste, on échappe de justesse à un sentiment de honte si écrasant qu’on laisserait la situation telle quelle parce que c’est plus simple pour tout le monde vu que Lukas est déjà perdu… Bon, ce n’est pas le cas, Lukas est, dans l’allégresse la plus totale, réintégré dans la communauté. Scène touchante, nous avons même droit aux réconciliations entre la « victime » et le « bourreau ». Au final, l’injustice demeure, et elle est d’autant plus désagréable que c’est l’ensemble du commun des mortels qui en est l’instigateur, principalement à cause de comportements qui défient le bon sens (le pédo-psychiatre qui, en face d’une gamine incapable de décrire les faits, se met à lui proposer des scénarios porno auxquels elle doit répondre par oui ou par non… mais où a-t-il obtenu sa licence de travail ? Il ne pourrait pas non plus lui montrer des films pour l’aider à inventer davantage ?). Cela fait-il de La Chasse un bon film ? On peut donc répondre clairement non, malgré l’éblouissante performance de Mads Mikkelsen, et effectivement d’un statut des victimes d’erreurs judiciaires, auxquelles on refuse toute défense. Mais devant aussi peu de discernement vis-à-vis d’un des crimes les plus subjectivement (sur)estimés, La Chasse penche d’un côté vers l’exploitation sommaire de son sujet, ne laissant aucune chance avant un final doux amer. Un film qui possède la capacité de frustrer son spectateur, un peu de la bonne et surtout de la mauvaise manière. Un cas détestable.
Voracinéphile
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le 1 août 2014

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