La trilogie de Kobayashi sur la guerre a déjà, dans le premier volet, différé les combats. Kaji avait pu éviter le front pour rejoindre l’enfer du monde du travail, jamais épargné par la violence. En bien mauvaise posture à la fin, le voilà contraint à faire ses classes avant de rejoindre ses compagnons d’infortune. Une nouvelle occasion donnée au récit de déplacer la violence, puisque Le Chemin de éternité prend les atours d’une progression initiatique infernale dans la caserne militaire. Le combat n’arrivera qu’au bout de 2h40, sans qu’on nous ait pour autant épargnés en termes d’exactions et de désespoir.
Car la démonstration est sans appel : l’armée japonaise vue par Kobayashi est un enfer, qui se passe bien du front pour anéantir ses soldats. Humiliations, discipline excessive, exercices visant à exténuer les corps et bizutage à briser les nouveaux arrivés, rien ne manque dans cette implacable machine à broyer l’individu. Cette constance mécanique a du fortement inspirer Kubrick pour son Full Metal Jacket : le sujet est rigoureusement identique, et les destinées des personnages secondaires semblables.
Au milieu de cette nouvelle institution, le personnage de Kaji reste fidèle à lui-même : épris d’idéaux, se heurtant à une hiérarchie qui ne supporte pas les électrons libres… L’histoire se répète, et, une nouvelle fois, on peine à comprendre pourquoi trois heures sont nécessaires pour asseoir une telle démonstration, car les gros traits se poursuivent eux aussi, Kaji étant aussi idéaliste qu’il est exceptionnel sur le plan militaire, ce qui le conduit à endosser des responsabilités.
La durée permet tout de même de donner corps à l’étouffement provoqué par la hiérarchie, dans une caserne qui permet un renouvellement de l’esthétique : les cadres sont resserrés, l’espace clos et saturé, les lits superposés et les fusils bardant les cloisons, alors qu’au premier plan, on humilie un soldat fragile en le contraignant à mimer une prostituée. Seuls éléments de sédition, quelques contacts, et un livre, le Code Pénal qui circule avec un camarade, pour éviter de trop porter le flanc aux châtiments des aînés.
L’histoire d’amour se poursuit, en pointillés – mobilisation oblige -, et occasionne un belle séquence de nudité devant une fenêtre, rare incursion de tendresse et de sensualité dans ce monde résolument masculin.
L’extérieur a beau s’inviter (un hôpital, les exercices sur le terrain, et jusq’au front à la fin), la fermeture reste constante : même hiérarchie inflexible, même impasse humaniste : le monde est dénué de sens et de raison d’espérer, et ceux qui détiennent l’autorité ne font qu’accroitre son absurdité.
Reste, sur la dernière demi-heure, l’arrivée du combat : on pouvait penser que tout ne tendait qu’à cela, mais c’est évidemment le contraire : ce qui pourrait être une transition en forme d’introduction vers le troisième volet est surtout le début d’un lent et douloureux épilogue : celui de la fin et de la défaite.
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