L’oeuvre de Stephen King a été tellement de fois adaptée qu’il est difficile de faire les comptes. Dans les années 1980, une dizaine de films sont sortis au cinéma, sans compter ceux à la télévision. Les plus grands noms l’ont adapté, parfois pour débuter, d’autres fois alors qu’ils étaient déjà reconnus : Brian de Palma, Stanley Kubrick, George A. Romero, John Carpenter ou David Cronenberg s’y sont attelés. Il y eut une telle férocité pour acquérir des droits que même des nouvelles d’une quinzaine de pages sont adaptées. C’est le cas de Poste de nuit, œuvre de jeunesse de Stephen King datant de 1970.


C’est ainsi qu’on découvre Gate Falls, petite ville dépendant d’une vieille usine de textile qui embauche une grande partie de la ville. John Hall est un nouveau venu dans cette ville. Il se fait embaucher pour remplacer un ouvrier mort dans une des machines. Warwick est le contre-maître, tyran élancé de cette fabrique. Ses autres collègues profitent de l’occasion pour se moquer du petit dernier, tandis qu’il se lie d’amitié avec une jeune ouvrirère, Jane Wisconsky. Le nettoyage de printemps arrive. Mais l’usine est infestée de rats. Et ces derniers semblent avoir un certain appétit pour la chair humaine.


Ralph S. Singleton signe ici son seul et unique film, sa carrière étant plus discrète mais plus prolixe en tant que producteur. Il n’a pas l’aura des réalisateurs cités plus haut. Et pourtant, son film est une agréable adaptation, riche de nombreuses qualités.


L’un des points forts du film est d’avoir réussi à camper son décor et ses personnages. Gate Falls n’est représentée que par quelques lieux, qui pourtant en disent long, comme le restaurant où les employés se réunissent et, évidemment, l’usine de laine. On ne peut pas faire difficilement plus vrai, puisque l’usine en question est bien réelle et a été fondée en 1821. Elle a gardé de vieilles machines qui ont pu être utilisées pour le film. Le lieu a forcément été aménagé pour les besoins du film, mais il s’en dégage une certaine authenticité. Le film est un peu sale, il sent l’huile mécanique et la laine triturée. Ses personnages s’y activent en sueur, usés et fatigués. L’usine est un monde clos, sans fenêtres, et le film continue logiquement en proposant une deuxième partie qui se consacre à ses profondeurs, ce qui s’y cache vraiment. Les infiltrations du cimetière entraînent une esthétique plus morbide, tandis que les étais du bois des galeries gardent une thématique industrielle mais plus minière.


Dans les recoins de l’usine ou des sous-terrains, les rats règnent. Ils sont peu craintifs des humains, ils les observent. Ils ne grouillent pas, ce ne sont pas des marées indistinctes. Le film joue sur l’aversion qu’on peut ressentir pour eux, les amis des bêtes et des rongeurs y seront moins sensibles. Ils sont tout de même bien dressés et bien utilisés, positionnés comme s’ils attendaient leur heure. Car une autre menace se cache au sein de cette communauté, une créature bien plus imposante, bien plus dangereuse, de chair nue et de secrétions. Sa présence est bien utilisée, dans une économie d’apparition agréable, et son rendu visuel est soigné et dégoutant comme il faut.


C’est l’une des principales modifications de l’adaptation, qui délaisse une créature plus étroitement liée aux rats par celle-ci, mais cette modification s’intègre bien.


Pour passer d’une nouvelle d’une quinzaine de pages à un film d’1h30, il a fallu aussi développer d’autres passages, dont les relations entre les personnages. Dans le texte original, John Hall est déjà installé. Il est aussi coupable d’avoir délaissé l’entretien des recoins de l’usine, favorisant l’émergence des rats. En en faisant un petit nouveau, le film profite de son regard extérieur à l’usine. John n’est pas un redresseur de torts, et les conséquences du film sont causées par Warwick. Il est responsable de la situation, mais s’ajoute aussi un sentiment de rivalité amoureuse pour Jane. Ces ajouts ou modifications accentuent les liens entre les personnages en créant un semblant de vie, de rivalités avec peu de solidarités.


Pour incarner ces personnages, le casting en fait légèrement un peu plus, l’excès dans le jeu semble autorisé voire encouragé. Ce n’est pas vraiment gênant, car cela renforce le côté excessif de tout film d’horreur, la petite exagération qui entraîne les meilleurs effets. Les acteurs sont assez peu connus, David Andrews, Kelly Wolf , Stephen Macht ou Brad Dourif en sont les principaux, mais la sueur et le gras de l’huile leur vont bien. Kell Wolf est d’ailleurs formidable avec son corps frêle, son regard désabusé mais son jeu fort qui s’impose face aux autres hommes.


Le film n’a pas l’angoisse des meilleures productions adaptées de Stephen King, mais il en reste des traces. Il est plus solide sur le décor qu’il utilise et les personnages qu’il fait vivre à l’intérieur, une petite ville oubliée, une usine qui ronge les hommes plus qu’elle ne les soude. La menace est réelle, mais elle ne dépend pas seulement des recoins des lieux, mais des parts d’ombres de chacun.

SimplySmackkk
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le 26 mars 2020

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