La réalisation d’un premier film constitue une épreuve extrêmement délicate pour tout jeune réalisateur en raison de cette tentation permanente de vouloir montrer à l’écran l’étendue de son talent, au risque de donner vie à une œuvre protéiforme bien trop riche, non exempte de défauts et boursoufflée par un hybris démesuré (ce qui est, en soi, un pléonasme).


Cette perfide tentation peut alors se retrouver dans les influences auxquelles on souhaite rendre hommage de manière plus ou moins explicite, ou plus sur la forme en travaillant sur des compositions de cadres avant-gardistes dans le seul but de rendre une copie à l’esthétique parfaite pour montrer que, oui, on sait faire du cinéma, tout en sacrifiant la symbolique sur l’autel du « beau ». Voilà donc le dilemme auquel Léo Karmann a certainement dû se retrouver confronté au cours de l’élaboration et de la réalisation de La dernière vie de Simon. Après visionnage de son premier long-métrage, le spectateur peut être rassuré : le piège a été surmonté sans fracas.


En partant d'un scénario assez vite résumé au demeurant (un jeune orphelin se découvre la capacité de prendre l’apparence absolument identique de toute personne avec qui il aurait eu un simple contact physique), l’histoire décide pourtant de faire fi du champ des possibles qui s’offre à elle pour se restreindre à un récit intimiste tourné autour de cette quête d’identité et d’amour propre à chacun, en faisant en sorte de garder l’élément « fantastique » au service de l’histoire plus que comme propos de fond. On ne peut que saluer cette initiative, tant le cinéma français, qu’il soit populaire ou plus d’auteur, n’a jamais été très à l’aise avec ce genre si particulier. Certes, on peut parfois tomber sur une comédie romantique récente avec un brin d’originalité qui lui permet de se démarquer de la masse (comme Mon Inconnue (2019) par exemple), mais il faut le plus souvent se tourner vers le cinéma américain - encore et toujours eux – pour espérer trouver son bonheur avec quelque chose de qualitatif.


La dernière vie de Simon est donc unique à plus d’un titre car le film se permet de faire le pont entre l’univers des drames français, très codifié dans un académisme confondant, et le fantastique américain, hanté par l’omniprésence de l’influence de Spielberg et consorts. Ne vous y trompez pas: si le nom du cinéaste américain revient si souvent lorsqu’on évoque ce film, ce n’est pas un pur hasard hasard. En effet, les références au maître sont légions surtout dans la première partie : le choix de prendre comme protagonistes de départ des enfants n’est déjà pas anodin, de même que le choix de les filmer au plus proche d’eux, de manière très intimiste. Les ambiances utilisées rappellent également toute cette vague fantastique américaine des années 80, avec comme décors toutes ces petites villes isolées et encerclées par des forêts denses qui semblent renfermer tant de mystères (le cadre ici choisi étant la Bretagne connue pour sa belle météo ensoleillée). Sans trop en révéler sur l’intrigue principale, la filiation est également un thème assez important, traité avec poésie et une certaine pudeur, sans pour autant manquer de générosité.


On ne peut pas oblitérer certains défauts au film, notamment tout ce qui touche au récit. Le scénario et son postulat de base constitue le point névralgique du projet, celui sur lequel toute l’œuvre repose, mais se révèle pourtant vite très, voire trop prévisible. Tout est cousu de fil blanc, et on devine sans grande difficulté les rebondissements ainsi que l’issue du récit. Seuls les acteurs sont suffisamment convaincants, sans non plus être excellents (peut être à cause d'une direction d'acteur trop rigoureuse) pour que l’on se prenne au jeu, même si on peut également regretter une écriture des personnages un peu trop déterministe.


Ces quelques petites aspérités sont toutefois oubliées grâce aux effets visuels vraiment intéressants pour la plupart, et on prend plaisir à voir par exemple ces jeux de lumières particulièrement astucieux pour renforcer le côté surnaturel et qui apportent une réelle plus-value à la composition des cadres. D’un point de vue technique, les effets spéciaux mis en place sont dont très convaincants, et la réalisation démontre déjà un réel talent derrière la caméra pour offrir de très beaux plans.


En conclusion, La dernière vie de Simon s’inscrit dans la droite lignée des films fantastiques des années 1980 tout en arrivant à se démarquer avec cette french touch qui n’est pas pour déplaire. On pardonnera ses facilités scénaristiques pour ne garder qu’une œuvre généreuse et poétique, qui dégage un réel amour du cinéma et qui se regarde comme un bon drame français légèrement saupoudré d’une pointe de fantastique particulièrement agréable.

Thibaulte
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le 2 sept. 2020

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