Un village, une maison à louer, la maison d’en face. Le décor est planté. C’est une histoire véritablement tragique que celle de Mathilde et Bernard. Pourtant, dès le départ nous sommes prévenus : méfiez-vous de ce qu’on vous montre, la vérité demande parfois un ajustement de cadrage. Madame Jouve s’adresse au spectateur, face caméra. L’artifice est aussitôt montré du doigt. Comme dans Brief Encounter, la fin nous est donnée d’avance. Peu importe les faits qui vous seront racontés : elle tend vers l’inéluctable. Mais qu’est ce que cette ambulance qui roule à toute berzingue sur une route de campagne ? On n’en saura pas plus. Même la temporalité est incertaine, c’était il y a six mois, cela aurait pu être il y a dix ans. Mathilde et Bernard se retrouvent par hasard voisins, huit ans après une violente rupture dont on saura finalement peu de chose. Ce qui est sûre c’est qu’un reste de cette violence couve encore en chacun d’eux. Le corps des acteurs sont tour à tour des corps désirants, des corps fuyants, des corps qui s’attirent puis se repoussent, des corps séparés qui cherchent à se rejoindre, chacun épiant depuis sa fenêtre la vie conjugale de l’autre. Gérard Depardieu est à la fois brutal et tendre, il aime autant qu’il déteste la femme d’à côté. Elle le rend fou, littéralement, et cette folie explose lors d’une fête donnée par Mathilde et son mari où le désir de Bernard, insoutenable et voyant lui échapper Mathilde, va soudain se répandre en énergie dans l’espace et à l’encontre de cette femme qu’il désire. Le rapport n’est pas unilatéral. Mathilde souffre autant qu’elle prend de plaisir auprès de son ancien amant : lors de leur premier baiser, après une rapide réconciliation, Mathilde s’évanouit et se sent mal. Elle monte dans sa voiture et lance un regard accusateur à Bernard. Accusateur ? Peut-être pas. Mais les deux amants chercheront à réactiver quelque chose de leur amour passé tout en sachant que leur chance de vie ensemble est révolue. Magnifique Fanny Ardant, magnétique, « ténébreuse » dira Bernard, qui recherchera la compagnie de celui-ci autant qu’elle voudra s’y soustraire. Mathilde est hantée par son histoire avec Bernard, qu’elle met en parallèle avec celle de Madame Jouve. Celle-ci, à cause d’un chagrin d’amour, par désespoir, s’est jetée par la fenêtre il y a vingt ans de cela et ayant survécu à cette tentative de suicide, n’en a jamais rien dit à l’homme qu’elle aimait. Mathilde y voit un modèle de courage et ne cache pas son admiration pour la vieille dame. Elle y voit aussi une figure tragique, Mme Jouve devant vivre avec les stigmates de son geste pour le restant de ses jours.
Le personnage est alors en proie à une véritable crise morale puisque Mathilde se trouve dans une posture mensongère vis-à-vis de l’homme avec qui elle partage sa vie et dans une posture impossible vis-à-vis de l’homme qu’elle a aimé mais avec qui elle ne peut plus vivre qu’une passion adultère vulgaire.

Ga_bri_elle
8
Écrit par

Créée

le 8 mars 2021

Critique lue 182 fois

1 j'aime

Ga_bri_elle

Écrit par

Critique lue 182 fois

1

D'autres avis sur La Femme d'à côté

La Femme d'à côté
EricDebarnot
8

L'ultime manifeste truffaldien...

"La Femme d'à côté" apparaît d'abord comme l'ultime manifeste truffaldien sur la passion amoureuse, et sa fatalité, puisque le monde raisonnable, le "réel", le condamne irrémédiablement. Truffaut y...

le 8 févr. 2015

19 j'aime

La Femme d'à côté
Truman-
8

Critique de La Femme d'à côté par Truman-

François Truffaut a compris l'amour et il le prouve avec ce film, La Femme d'à coté est une vision d'un amour déchiré qui malgré lui fera tout pour revivre et qui se consumera encore et encore . Le...

le 9 févr. 2014

17 j'aime

4

La Femme d'à côté
Anna_M
5

Critique de La Femme d'à côté par Anna_M

Ah, Truffaut et ses histoires d'amour impossible ! Si Jules et Jim m'avait complètement transportée, La femme d'à côté ne m'a pas vraiment touchée. Je ne sais pas, quelque chose manque. Je trouve...

le 13 nov. 2014

15 j'aime

Du même critique

L'Homme à la valise
Ga_bri_elle
6

Fragment de temps

Étrange petit film de Chantal Akerman. Durant une heure, il ne se passe, pour ainsi dire, rien, ou si peu de chose. La présence gênante de l’autre permet au film de trouver son rythme, découpé en...

le 24 mars 2021

4 j'aime

À tout prendre
Ga_bri_elle
7

Joli poème

Le film de Jutra est étonnant. À la limite de l’expérimental, on retrouve certaines idées du cinéma-vérité (utilisation du zoom pour aller chercher les acteurs dans le plan, cadre instable par...

le 4 mars 2021

3 j'aime

Les Tueurs de la lune de miel
Ga_bri_elle
7

Du désir

Du couple formé par Martha et Ray, on retiendra un désir, une passion dévorante, affamée, une impossibilité de s’aimer dans la légalité. Il faudra attendre la prison pour que cet amour puisse enfin...

le 5 mars 2021

2 j'aime