Selon son plateau de tournage, ce film était maudit avant que le premier cri : "Moteur" n'accompagne le premier clap de tournage ! Il faisait désespérément beau sur les lieux de l'action et il a fallu des trésors d'inventivité en matière de trucages pour simuler les scènes de mauvais temps ! En particulier recréer ces moments artificiels de mer déchaînée à une époque où les astuces numériques étaient loin de permettre tous les scènarii catastrophes d'aujourd'hui, avec force caméras microscopiques ou autres gadgets actuels ! On devine du reste assez facilement dans certains plans que les averses sont fausses et qu'elles sont générées par des de puissantes pompes à eau...
Les accidents de travail auront été nombreux : deux techniciens ont perdu l'un un bras, l'autre une jambe, ou encore un autre un oeil de verre, lors du tournage à risques au cours duquel un autre a failli mourir : selon Sarah Miles, il était convenu que nageant dans une mer (artificiellement) déchaînée un acteur lèverait le bras pour signaler aux équipes de secours quand il était en difficulté ! Quand il le fit, David Lean (atteint de sénilité précoce ?), le réalisateur, trouva la scène tellement réaliste qu'il empêcha toute assistance jusqu'au moment où les secours enfreignirent ses consigne et se jetèrent à l'eau. Il est certain qu'un martyre du tournage eut fait au film une publicité considérable, mais était-ce l'intention du metteur en scène ?
L'ambiance de l'équipe était tellement délétère qu'au cours d'une rixe réelle, Mitchum fut atteint à l'oeil et ne put tourner pendant six semaines ! Bref, un enregistrement interminable et cauchemardesque dans un village créé tout exprès pour ce film et détruit immédiatement après... Lean n'avait pas pour habitude de lésiner sur les moyens...
Tout ça pour un flop relatif qu'il essuya (en France : 719 000 entrées) et dont il mit du temps à se remettre avant de tourner son ultime réalisation quatorze ans plus tard avec 'La Route des Indes"
Le principal défaut de ce film est sa longueur interminable : plus de trois heures (et ce, sans publicité)
C'est à la limite du supportable mais il est tellement riche en actions, en émotions, et en prises de vues qu'on résiste, et ce d'autant plus que dans la dernière heure, on dirait presque qu'il y a un second épisode : chut, vous savez que j'évite toujours de raconter une histoire et je ne vous en dirai pas plus... Lean traîne avec lui ses mauvaises habitudes de puritanisme et de crainte des foudres de la censure : les scènes de copulation du couple Miles-Mitchum seront aussi aseptisées que dans un film de Disney, et les étreintes et baisers passionnés s'achèveront toujours par un gros plan de la caméra sur la cime des arbres : prises de vues hypocrites et vous laissant sur votre fin (faim ?) que je déteste...
Le casting est une pure merveille, même si j'exclus Sarah Miles (l'héroïne du mariage adultérin, qui n'est pas pour elle un rôle de composition) et qui semble souvent jouer faux ! Son amour semble aussi réel que celui d'une grenouille pour un éléphant. Peut-être est-ce dû aux conditions de tournages qui lui fichaient la trouille ? Quant à Mitchum, il est parfait et pourtant ce type de film ne favorisait pas son image de marque de séducteur : ici celle d'un "cocu magnifique" mais lâche, feignant d'ignorer que sa femme beaucoup plus jeune que lui le trompe éhontément, en étant tombée amoureuse d'un ennemi de son pays..A son nez et à sa barbe !
Autre avantage du film : la signature de Jarre pour la composition musicale qui a le mérite de ne pas tenter de faucher la vedette à l'histoire comme souvent Morricone le faisait, mais au contraire de le magnifier...
Alors le film de trop pour Lean après les immenses succès des "Pont de la Rivière Kwaï" , "Docteur Jivago" , ou encore "Lawrence d'Arabie" qui furent respectivement premier, second et troisième au box-office français avec 14, 10 et 6 MM de spectateurs en salles françaises ?
Lean était âgé de 83 ans lors de son décès en 1991. Il avait 62 ans lorsqu'il a réalisé ce film... Ce qui n'a pourtant pas ruiné ses producteurs avec un doublement de leur mise en initiale ! Fidèle à sa légende le spécialiste des films à succès ! Peut-être à revoir si on n'a pas apprécié à la première projection et avant de déjuger trop hâtivement ?
Arte le 01.12.2019