La Gueule de l'emploi
7.6
La Gueule de l'emploi

Documentaire de Didier Cros (2011)

Pas mal ce docu.


J'ai cru que ça n'allait pas fonctionner à cause de ces interventions face caméra des demandeurs d'emploi, j'avais peur que ça ne tombe dans un drama digne de la télé-réalité où chacun se met à pleurnicher tout en accusant l'autre. Finalement c'est intéressant grâce au fait que les intervenants parlent avec intelligence, analysent leur situation avec lucidité, admettent autant les défauts des autres que les leurs.


J'avais peur aussi que ça ne devienne lourd lorsque le premier tour a commencé : j'avais peur de devoir voir tout le monde s'essayer à l'exercice ; l'auteur met un peu de temps mais il finit par couper pour passer à autre chose. Par la suite, les différentes phases passeront plus vite, trop vite peut-être, et on commence à sentir qui va rester.


On sent que les intervenants ont bien été choisis ou bien dirigés dans leurs réponses, car ce petit groupe de gens me paraît un peu trop fictif lors d'une réelle sélection. Mais bon, on s'en fiche que ce ne soit pas réaliste, l'important, pour moi, c'est que ça fasse un produit divertissant. Et ces intervenants m'ont diverti, leur intelligence telle qu'elle apparaît à l'image permet de maintenir l'intérêt.


J'ai cru lire que le film ne prenait pas trop position : je ne suis pas d'accord avec ça. Certes, on nous montre quelques passages où les recruteurs sont humains, en y réfléchissant on peut même se dire que c'est presque normal d'agir de la sorte, peut-être pas lorsqu'il s'agit de se moquer du demandeur d'emploi, mais bien lorsqu'il s'agit de faire monter la pression (surtout que le premier exercice fait passer les demandeurs d'emploi pour des idiots et les employeurs pour des incompris), mais sur la fin, il est bien difficile de prendre parti pour ces bourreaux tant ils sont montrés comme des salopards irrespectueux (quand ils se marrent parce que Georges leur confie avoir besoin d'un délais avant de répondre).


Il y a aussi une autre scène qui fait plaisir pour le spectateur s'identifiant aux demandeurs d'emploi : la présentation de la société. La présentation est tellement lamentable qu'on ne peut que se dore : quoi ? ils font chier les demandeurs d'emploi, les humilient, les rabaissent, font croire qu'ils recherchent les meilleurs alors que eux ne sont pas capables de faire une présentation correcte de leur société, évite certaines questions, mentent mal ? Avec à l'appui les analyses toujours peines de lucidité des demandeurs d'emploi, qui ne sont pas dupes.


Non, pour moi, il est difficile de ne pas penser que les patrons sont des salopards suite à ce docu. Ce n'est pas un mal, c'est juste une prise de position, mais ça me paraît mensonger de dire qu'on peut prendre ce docu comme on veut, qu'on est libre de choisir son camp. C'est comme dans "Schindler's list", on sait qui est le méchant. Cela n'empêche pas de les montrer humains par moment, car effectivement ils donnent quelques coups de pousse réels de temps en temps, mais à d'autres, ils se montrent exécrables sans en avoir conscience (on peut dire qu'ils sont piégés par leur propre système).


En revanche, côté demandeurs, difficile de savoir quelle est la meilleure option : partir ou rester ? Je comprends qu'ils veuillent rester. Ce n'est pas juste une histoire de conditionnement, c'est aussi lié à l'image : un employeur dit être étonné que deux demandeurs soient partis et résument cela par 'c'est qu'ils ne veulent pas travailler'. C'est un raccourci idiot, c'est certain, mais c'est malheureusement ce qui effraie pas mal de candidats. Je suis moi-même dans cette situation, je cherche un emploi, il m'arrive de refuser des offres qui me paraissent inadéquates, mais je regrette très souvent ce geste (rare tout de même puisque je n'ai pas tant d'opportunités que ça), je me dis que je cherche un emploi que je ne peux pas être trop difficile... peut-on refuser ou pas un job quand est demandeur d'emploi ?
Je pense que c'est à chacun de trouver sa réponse et non à la société de blâmer la personne. Après tout chacun doit assumer ses propres choix.


En ce qui me concerne, par exemple, j'ai encore l'espoir de trouver le job idéal, celui au travers duquel je m'épanouirai, mais cette quête est de plus en plus dur, la pression faite par la société me prend de plus en plus à la gorge, société représentée par ma famille (qui ne comprend pas que je sois toujours au chômage), par ma compagne (qui a un peu de mal à être celle qui ramène l'argent), par les employeurs (qui se demandent pourquoi il y a autant de trous dans mon CV), par les amis de mon âge (qui décrochent leurs CDI, achètent leur maison, fondent leur famille). Quand on n'a pas de job et qu'on en cherche un, on se sent un peu comme une merde. Et je ne suis pas sûr que ce soit très utile ni salutaire pour un demandeur d'emploi, au contraire, cela va réduire sa propre estime, l'amener à se décourager, à se dévaloriser et de là il pourra se montrer bien plus stressé lors d'un entretien ou bien au contraire se pointer en se disant que de toutes façons les autres sont mieux que lui...


Bon, je m'éloigne du film pour parler de mes convictions et du message. Il faut savoir que je ne tiens pas compte de cela dans ma note, je me contente d'en parler dans ma critique. Pour en revenir aux qualités du film, j'ai donc trouvé mon compte de scènes fortes et d'intervenants intéressants. Je trouve que certains axes auraient pu être plus approfondis, que les intervenants paraissent un peu trop aller dans le sens du réalisateur lors de leurs explications face caméra, mais ça reste toujours sympathique à découvrir.


De plus, la mise en scène est maîtrisée dans le sens où les lieux sont bien investis, les intervenants bien filmés, on a même droit à quelques jolis plans. Le montage est rythmé, grâce notamment aux interventions face caméra. Je pense que certaines parties sont trop longues et d'autres trop courtes alors qu'il devait y avoir assez de matière pour ces dernières, je pense aussi qu'il aurait été intéressant de s'arrêter un peu plus sur le point de vue des employeurs ; on devine effectivement un certain formatage dans leurs réponses, mais c'était le rôle du réalisateur, justement de percer cette carapace et amener ainsi plus d'images concernant ces 'salauds' afin d'établir une meilleure balance entre les deux camps.


Bref, ce documentaire est intéressant pour son sujet mais aussi dans son traitement plutôt spectaculairement maîtrisé.

Fatpooper
7
Écrit par

Créée

le 15 août 2016

Critique lue 749 fois

6 j'aime

8 commentaires

Fatpooper

Écrit par

Critique lue 749 fois

6
8

D'autres avis sur La Gueule de l'emploi

La Gueule de l'emploi
cinewater
8

Critique de La Gueule de l'emploi par Ciné Water

La gueule de l'emploi est un documentaire sans la moindre voix off diffusé sur France 2 le 6 octobre 2011 et peu avant sur la RTBF. Ce documentaire relate les méthodes employées par une compagnie...

le 12 déc. 2011

18 j'aime

La Gueule de l'emploi
krawal
6

Intéressant, mais pas totalement scandaleux

On peut relever quelques phrases pas très sympas et/ou caricaturales, mais je m'attendais à une démonstration bien plus violente des dérives des cabinets de recrutements (comme on a pu le voir dans...

le 13 oct. 2011

14 j'aime

La Gueule de l'emploi
Andy-Capet
8

Veuillez agréer, Madame, Monsieur, mes salutations critiques.

Voici un documentaire qui relate ce qui se passe de plus en plus en recrutement. C'est plutôt une compilation de ce qui se fait de "mieux". J'ai eu moi-même - faut pas parler de soi, il paraît - des...

le 16 juin 2022

8 j'aime

Du même critique

Les 8 Salopards
Fatpooper
5

Django in White Hell

Quand je me lance dans un film de plus de 2h20 sans compter le générique de fin, je crains de subir le syndrome de Stockholm cinématographique. En effet, lorsqu'un réalisateur retient en otage son...

le 3 janv. 2016

121 j'aime

35

Strip-Tease
Fatpooper
10

Parfois je ris, mais j'ai envie de pleurer

Quand j'étais gosse, je me souviens que je tombais souvent sur l'émission. Enfin au moins une fois par semaine. Sauf que j'étais p'tit et je m'imaginais une série de docu chiants et misérabilistes...

le 22 févr. 2014

115 j'aime

45

Taxi Driver
Fatpooper
5

Critique de Taxi Driver par Fatpooper

La première fois que j'ai vu ce film, j'avais 17ans et je n'avais pas accroché. C'était trop lent et surtout j'étais déçu que le mowhak de Travis n'apparaisse que 10 mn avant la fin. J'avoue...

le 16 janv. 2011

103 j'aime

55