La technologie a (parfois) du bon. Tenez, elle a rayé une scène pourtant coutumière auparavant pour celles et ceux qui vont en couple au cinéma. Là, le regard perché sur l’écran, dématérialisant complètement le responsable de caisse, voilà le fameux plaidoyer débiné pour convaincre de voir tel film. La compromission étant la pierre (parfois fragile) du couple, un consensus (parfois mou) se dégage et va donc pour un film. Exit donc ce procédé pour La La Land. Déverrouillage du smartphone, réservation, choix des places et adieu négociations. Malgré tout, il faut rassurer car mon 2ème ticket honnit les films portés au pinacle. Et surtout, par-dessus tout, elle ne comprend pas le concept Emma Stone (Dieu merci, elle a toujours préservé Anna).


Pourtant, à l’issue du film, me voici empli d’un sentiment que le temps m’a appris à manier avec précaution, celui d’avoir fait le bon choix. Même si la dénomination 'Film de l’année" semble un peu excessive en cette fin de mois de janvier 2017, La La Land réussit un tour de force. Celui d’être agréable à plus d’un titre, voire plaisant. Intrigant à bien des moments jusqu’à en devenir irrésistible. Néanmoins, cette cascade de superlatifs se heurte à "ce je ne sais quoi"


Fin du film donc, 30 min de trajet de métro. Ce qui détonne dans cet "after" film c’est le réflexe pris par ma moitié (et moi-même) à ne pas trop ergoter sur ce que l’on a aimé (ou pas) mais bien sur un exercice vain mais qui s’avèrera décisif au moment de jauger le film. Le temps de 5 stations donc, il y eut dans une rame de Métro une bataille de noms. Pêle-mêle furent convoqués cette couleur verte hitchcockienne, ce maniement de robe à la Nathalie Wood, ce final très diluvien, des copines très "Pink Ladies", cette scène de danse à deux très joue contre joue (avec une mélodie très fitzgeraldienne), ce trompettiste qui a pourtant une bouille ressemblant à Cannonball…Il est clair que Chazelle a bien fait ses devoirs. Sans tomber dans un élitisme béat et stérile, sans prétendre ce que l’on n’est pas, les convocations sont pourtant là ! Critiquable à bien des égards et presque préjudiciable avec ses oscillations d’emprunts et d’inspirations.


Deuxième partie du trajet, au milieu de cette foule bien trop bruyante, survient mon temps fort. De manière patente, La La Land prolonge des réflexions présentes (et de quelle manière !) dans Whiplash. Ce fameux rapport tortueux à ce que Q(uincy Jones) désigne comme "de l’architecture liquide", la musique (l’art ici en général dans La La Land). Soit, la réhabilitation en règle du terme répétition dans tout ce qu’il a de plus laborieux, rébarbatif et catalyseur de caractère. Les échecs répétés des deux protagonistes, ces idéaux qui se heurtent à l’urgence de s’accomplir, de ne pas pénaliser l’autre, ce carcan, ce panoptique que constitue Hollywood (ou l’industrie musicale)…La La Land ne se contente pas d’en rire, d’en pointer les dérives ou autres anomalies. Le film en extrait une couche, celle des atypiques, des marginaux ou des utopistes, la dénomination dépendant du côté où se trouve le camarade qui évoquera votre cas.


Aussi, plus qu’un mariage de raison, l’association (comédie) musicale avec le jazz est plus que cristalline. Cette contestation par les notes, ce laisser-aller, ce lâcher prise au mépris des "normes", cette prééminence de la mélodie…oui, incontestablement, en cela La La Land postule dans la catégorie des comédies musicales mémorables.


Quid alors de "ce je ne sais quoi" ? Peut-être cela vient-il du goût laissé par l’histoire entre les deux protagonistes. Dernière partie du trajet (et jusqu’à aujourd’hui en fait), dernier point donc à aborder, celui de l’histoire entre Ryan Gosling et Emma Stone. Soit la peur d’y constater une variation banale, parfois amenée de manière niaise, un tantinet rétrograde ou manichéenne. La question n’est pas de trouver le traitement idéal (ou dans ce cas précis la meilleure fin) mais bien de comprendre pourquoi cet arrière-goût saumâtre est-il si agréable ? Peut-être parce qu’à l’instar du jazz, il y a ce sentiment de jusqu’au boutisme vain, romantique mais suicidaire. Cette rigidité qui confine à l’exclusion, l’étouffement. Au-delà de la musique et de son exigence, l’application de ces termes sur la gestation d’un couple semble exquise. Et pour poursuivre le parallèle jusqu’au bout, dans les deux cas, ce sont bien les silences qui sont les plus durs, les plus inattendus et les plus appréciables.


Au golf, un birdie est un trou joué un coup sous le par et c’est aussi par Bird que l’on désignait Charlie Parker. Oui, La La Land est un birdie cinématographique. Un coup exécuté de fort bel manière, fluide (cette unité dans la musique), "racé" et donc à bien des égards remarquables. Nonobstant, créer ne se résume pas exclusivement à réciter, emprunter ou à revisiter des "classiques" (ultime ironie : faire réciter ces titres classiques par Ryan Gosling et Emma Stone). Reste néanmoins, ces interrogations autour de l’autre, cette propension à porter (ou pas) ces rêves et à s’effacer. Au fond, un peu comme cette pellicule de La Fureur de Vivre qui s’étiole au moment fatidique (du couple et du film). Oui, mettre en avant l’autre mais jusqu’à quand ? Et surtout dans quelle mesure bascule-t-on dans ce qui est espéré, rêvé voire fantasmé et donc potentiellement nocif pour l’être aimé ?


** Merci Damien Chazelle d’avoir (un peu) réconcilié Emma Stone avec mon 2ème ticket. Bon en Cinemascope, ses yeux sont toujours "aussi grands" (dixit ma moitié) mais merci. Merci Ryan Gosling, toi l’éternel Hercule jeune ! Cette (fausse ?) modestie à évoquer tes difficultés à apprendre le piano pour le besoin du film s’efface au profit de scènes plus qu’appréciables au piano.*

RaZom
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le 30 janv. 2017

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RaZom

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