Déjà récompensé par 7 Golden Globes et étant grand favori à la course aux Oscars avec 14 nominations, La La Land semble être le film de tous les records, et remet au goût du jour (tout en poursuivant une certaine tradition) un genre qui a tendance à être un peu délaissé (ou moqué ?), la comédie musicale.


La La Land est présenté comme un film qui entrerait parfaitement dans la catégorie « films qui rendent heureux ».
Au premier abord, notamment avec la première scène pendant laquelle des automobilistes pris dans un embouteillage monstrueux sortent de leurs voitures aux couleurs saturées, chantent et dansent… sans raison apparente (mais c’est chouette !), le film peut en effet être vu comme uniquement coloré et joyeux. Le scénario « de base » est certes assez simpliste : deux âmes perdues cherchent à réaliser leurs rêves dans le domaine artistique et se rencontrent. Pourtant, sous ses aspects de film « joyeux dont on sortirait avec l’envie de faire des câlins au monde entier », le film est plus profond, et réellement moderne (malgré un genre rapproché d’un cinéma plus « ancien », et une esthétique plutôt « vintage »), et, on n’en ressort pas spécialement avec un grand sourire.
Il questionne la société actuelle, la poursuite des rêves, les relations sociales (amoureuses, amicales, ou même les relations « d’autorité » entre patron et employé par exemple), et n’est au final, pas si joyeux que ce qu’on pourrait penser à la vue des bandes-annonces et autres critiques.


C’est finalement la vie qui est questionnée, qui est montrée au travers un « morceau de vie », une rencontre, entre deux personnages, Mia et Sebastian (que le destin semble constamment forcer à se croiser) : que faut-il faire pour réaliser ces rêves ? Faut-il mettre de côté tout le reste ? Ou au contraire faut-il renoncer à ses rêves pour garder le reste ? Le film ne donne pas de réelle réponse.


Pour cet aspect, j’ai eu la même sensation que pour Whiplash, l’autre film (largement remarqué, aussi) de Damien Chazelle, « qu’est-ce que le film veut me dire ? » : est-ce que le professeur tyrannique était finalement un élément positif, permettant au batteur de se dépasser, et de finalement, réaliser son rêve ? L’a-t-il au contraire retardé ? L’a-t-il empêché de réaliser autre chose ? On ne le saura pas vraiment.
Et pour ce qui est de La La Land :
- Est-ce que c’est une bonne chose finalement ?
Pas vraiment, parce que, simplement, on est triste, et les personnages aussi. Et, pour être triviale, « être triste, ce n’est pas bien ».
- Alors, c’est une mauvaise chose ?! On devrait abandonner ?
Non plus non, car c’est aussi ce qu’ils voulaient, ils ont réussi, et n’ont finalement pas l’air malheureux. Ils sont ravis d’avoir réalisé leur rêve. (ou « un » de leurs rêves ?)


Un peu comme la vie donc, qui offre des choix, parmi lesquels l’un peut en annuler un autre. Le film ne pose pas de jugement sur le(s) choix entreprit(s) par les personnages, ils sont comme une image de la réalité. Faut-il abandonner un rêve pour en concrétiser un autre ? Est-ce bien ou mal ? Ca dépend... ou même pas.


Les personnages, justement, ne sont pas de gros clichés comme ceux auxquels on pourrait s’attendre de la part d’un film estampillé « comédie musicale joyeuse ». Mia n’est pas celle qui réussit tout ce qu’elle entreprend, Sebastian non plus. Pourtant, ils ne sont pas non plus montrés comme ceux qui ratent tout et qui n’ont jamais aucune chance, contre qui le monde semblerait se liguer.
Ils sont au fond, tout comme le sont les questions que pose le film, parfaitement ancrés dans « notre » réalité : avec leurs défaites, leurs questionnements, leurs doutes, leurs réussites, leurs amis et familles (qui même s’ils n’ont pas un rôle de premier plan (ce n’est pas le sujet !) sont présents (on voit la sœur de Sebastian, les parents de Mia, et leurs amis), ils existent, ce qui permet de montrer que Mia et Sebastian ne sont pas deux personnages éloignés de tout et tous). Et pourtant, malgré cette apparente "normalité" qui pourrait les rendre inintéressants pour certains (« ils sont comme tout le monde ? » (J’aurais quand même trouvé ça intéressant mais bon)), ils sont particuliers et intéressants, en raison de leurs caractères mais aussi plus simplement et logiquement, des rêves (plutôt énormes) qu’ils poursuivent, ce qui est, après tout, le sujet du film.


Je n’avais pas du tout envisagé ma critique sous ce « découpage » en fait, j’ai déjà une page de texte alors que je n’ai pas encore évoqué (pas réellement du moins) la comédie musicale en elle-même, les musiques. Car, si le film est profondément ancré dans la réalité, les moments musicaux s’intègrent cependant très bien, ils sont comme des moments de rêves éveillés, qui justement « coupent » de cette réalité belle, mais souvent fatigante et parfois décevante.
Ces moments musicaux sont particulièrement marquants … j’essayais d’en trouver l’un ou l’autre à mentionner, mais chaque fois que je pense à l’un d’eux, un autre me vient en tête, et, il serait dommage de tous les expliquer ici… La scène de concert mérite tout de même un peu d’attention, ce moment où Mia, dans le public, est illuminée au début et est réellement le centre de tout... et finit par être « engloutie » par la foule. Les chorégraphies sont parfaitement orchestrées, et Ryan Gosling joue bien du piano. Le thème principal « City of Stars » est d'ailleurs simplement magnifique, à la fois mélancolique, rêveur, et plein d’espoir.


Enfin, je voudrais ajouter que malgré ces aspects « mélancolique » et « réel », (je veux pas gâcher l'ambiance quoi) le film est vraiment drôle par moments, les dialogues sont extrêmement bien écrits, les couleurs sont belles, la relation entre Mia et Sebastian est très bien transcrite, le courant passe vraiment bien entre les deux acteurs, les décors hyper colorés sont presque magiques. C'est cette espèce de compromis entre quelque chose de très réel (la vie), quelque chose qui se rapproche de la magie (certaines musiques, les décors, les couleurs), et les rêves qui se situent finalement à la croisée entre réalité et magie, qui rend le film particulièrement intéressant.


(J’ai lu que certains reprochent au personnage de Sebastian de vouloir « imposer sa passion » en « forçant » Mia à aller à un concert de jazz, car « elle déteste ça ». Bon… déjà, il ne la force pas, il lui demande. Ensuite, au sujet de quoi que ce soit, dire « j’ai horreur de ça », ça ne montre pas une ouverture d’esprit gigantesque. A mon sens, ce que Sebastian tente de faire est simplement de partager sa passion avec celle qu’il aime, pas de lui imposer un point de vue, mais au contraire, de lui faire découvrir autre chose que ce qu’elle connait déjà, qui pourrait (ou pas !) la faire changer d’avis.)


(pas vraiment un spoil mais au cas où...)


Je ne parle pas de la fin « alternative », mais c’est surement ce que j’ai vu de mieux au cinéma depuis longtemps. Rien que ces quelques minutes (?) mériteraient cinq pages, minimum. Du génie. Quelle inventivité ! comment mettre autant de chose en si peu de temps ?


La La Land, tout comme l’était Whiplash, est davantage un film centré sur les relations humaines, sur les rêves, sur la musique… qu’un film « simplement » joyeux dans lequel tout serait simple, et dans lequel la musique ne serait là que pour meubler une absence de scénario ou de propos. C’est au-delà de ça, il retranscrit un tas de facettes de notre société, de nos choix potentiels, en l’abordant de manière relativement simple, et toujours belle, colorée au début, sans doute plus sombre à la fin.


Tout est beau, mais assez triste… quoique.

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le 25 janv. 2017

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Anyore

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