Ada et l’ardeur.
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Il est des films qui marquent si profondément le spectateur qu’il devient impossible de les oublier, d’en confondre l’intrigue, d'en voir disparaître les personnages. The Piano se suit comme une symphonie cathartique capable de convertir le silence dont se pare l’héroïne en parole sur le monde et les hommes ; les focalisations explosent aux yeux et font perdre pied dans une jungle devenue scène de théâtre. Montent sur l’estrade un colon face au peuple indigène qu’il envahit et dénature, une mère face à un mari de substitution dont elle préférera le brutal voisin. Tous les tons se croisent et s’emmêlent, on glisse d’une écriture boulevardière – le mari cocu, l’amant dans sa cabane-placard, la femme entre les deux – à tragique, de la photographie d’un mariage ridicule réalisée sous pluie battante au battage qu’un mari fait subir sous une pluie d’insultes. Illusion du contrôle, perte de ce dernier. Drame sadomasochiste aussi et surtout où chacun semble prendre plaisir dans la souffrance qu’il éprouve : l’époux cocu assiste aux ébats adultérins de sa dame sans intervenir, en devient le voyeur ; la femme désobéit à l’homme de culture pour retrouver l’homme de nature, seule ouverture possible vers une reconstruction partielle (le passé était musicien, le futur sera auditeur). Entre-temps le piano a changé, on ne parcourt plus les mêmes touches. The Piano chante le deuil d’un amour perdu sous la forme d’une rupture de voix : au plus profond du silence gît la volonté, et ce n’est qu’en agonisant qu’on peut l’entendre pleinement. Ainsi le périple s’achève-t-il sur un plan en contre-plongée écrasante mettant en valeur la cime des arbres traversée de toute part par la lumière du soleil : les traits horizontaux traduisent la fin heureuse à venir, la reprise en mains d’un destin où il fait bon vivre, là où jusqu’alors la forêt servait essentiellement de lieu d’enfouissement du désir, marquée par la verticalité de ses troncs comme poutres d’un cadre dans lequel se hachuraient les personnages le traversant. On respire. Mais on ne ressort jamais de The Piano. Jane Campion signe là l’une des œuvres les plus importantes du cinéma, celle qui se voit, se grave et jamais ne s’oublie.
Créée
le 19 déc. 2018
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