Vincent Lindon est là. Sa présence nous accompagne tout le long du film, en focalisation interne : tout ce qu'on voit et qu'on découvre, c'est par lui, son regard, ses humeurs, ses désirs, son impuissance.
On a beaucoup reproché au film d'être trop proche du documentaire ; mais il ne faudrait pas ignorer que la fiction peut désirer imiter le réel, et utiliser des artifices fictionnels pour rendre la réalité encore plus percutante. Aller filmer au Pôle emploi ? Ca a déjà été fait... là, on obtient ce même réalisme avec un personnage principal fort qui soutient notre regard et nous met en face de la société dans laquelle on évolue, et dont nous sommes tous responsables : c'est vraiment dans ce monde-là qu'on veut vivre, un monde où un homme de 50 ans a peur de ne pas pouvoir payer ses factures, et où on lui parle de prendre une assurance-vie, tout cela parce que les agents des banques sont aujourd'hui formés à vendre n'importe quoi à n'importe qui ?
Ce film, par sa rugosité-même, nous ramène au monde dans lequel nous évoluons. Et ce n'est pas beau, et ce n'est pas tendre. Un monde où un DRH peut tenter de nier la portée symbolique d'un suicide sur le lieu de travail, en invoquant des affaires privées au cours d'une réunion déplacée, qui n'a d'autre fonction que de blanchir l'entreprise qui se sait pourtant responsable d'avoir poussé à bout l'une de leurs employés.
A aucun moment Vincent Lindon ne courbe l'échine, même sa résignation est digne et grave. Quand il claque la porte dans les dernières secondes du film, on sait qu'il n'y a pas de lumière derrière son geste ; mais parfois peut-être mieux vaut-il compromettre son existence plutôt que son âme.