Dans la vraie vie, ça ne se passe pas comme ça

Le film résonnait pour moi à deux titres :
- enseignant en musique au CRR de Lyon (en jazz), j'ai été amené à intervenir en collège, sur une plus courte période et sans objectif de spectacle comme dans le film ;
- ma fille, qui a 20 ans, fait du violon depuis l'âge de 8 ans.


Je craignais un peu le côté "feel good movie" lorsque j'ai lu le sujet, car je goûte peu les bons sentiments et le "politiquement correct" au cinéma. Ces ingrédients sont présents dans le film, mais j'ai pourtant passé plutôt un bon moment. Cela tient beaucoup aux comédiens (et donc au réalisateur qui les a choisis, a su les diriger et les filmer pour les mettre en valeur) : aussi bien Kad Merad, très sobre, que les enfants, déchaînés et super naturels. Le contraste fonctionne très bien. On sent que l'auteur a cherché à capter ces instants de vie chez les enfants, et le résultat est convaincant.


Mes réserves tiennent au caractère invraisemblable du scénario. Le film ne se situe pas franchement du côté du conte de fées, puisqu'il installe un univers assez réaliste (la salle de classe et le collège, par exemple, m'ont franchement rappelé mon intervention en collège, ainsi que l'ambiance de chahut perpétuel). On accepte donc moins bien les trucs impossibles.


Parmi lesquels le fait de jouer si bien du violon en même pas 1 an... sans quasiment de cours particulier ! Admettons que le héros soit un surdoué de l'instrument (bon, même un surdoué ne peut pas faire à mon avis ce qu'il fait au concert sans avoir touché un violon avant le début de l'année scolaire). Mais toute une classe ? Les nombreuses auditions auxquelles j'ai assisté (souvent dans la douleur !) m'ont montré qu'avant au moins 5 ans de violon avec des cours particuliers on ne joue pas juste (ma fille, malgré tant d'années d'effort, ne joue toujours pas complètement juste... elle appréciera si elle voit le film !). Le violon est un instrument particulièrement ingrat pour qui a une oreille exigeante... Je pense que des profs de violon pourront confirmer ce que j'écris là. Le projet est donc beaucoup trop ambitieux : il faut viser "j'ai du bon tabac" juste à la fin de l'année !


Invraisembable aussi, en tout cas étrange, le fait de pouvoir obtenir tous ces instruments avec leur housse : ça coûte très cher ! Et qu'on les laisse traîner par terre et des gamins se battre à côté, ça me semble totalement irresponsable.


Il y a encore le fait que tout est un peu trop à l'eau de rose : le vilain perturbateur devient gentil et motivé, le violoniste pro ne trouve "plus de plaisir" à jouer en concert, les parents s'entendent tous comme larrons en foire pour réhabiliter le local (et au dîner au resto, pas un seul sur son portable ? ça n'existe plus ça hélas).


Il y a enfin un côté "tire larmes" qui n'est pas ma tasse de thé : non, on ne se met pas à pleurer dès qu'on entend du violon ! Par contre, je pense qu'il peut y avoir un effet de sidération d'entendre ça pour quelqu'un complètement étranger à ce type de musique : ça, c'est bien montré. Quant au prof qui vient "s'excuser" d'avoir secoué l'enfant perturbateur, j'ai été scandalisé ! Le gamin peut se dire que c'est bon, tout est permis en fait... Que Simon ait cherché à le récupérer, je trouve ça bien, mais pas en s'aplatissant comme ça.


Un dernier détail : j'ai grincé des dents lorsqu'Arnold répond qu'aller au conservatoire "ça ne l'intéresse pas". Toujours cette idée que la vraie musique serait ailleurs. J'en ai assez qu'on dénigre le conservatoire sans, bien sûr, savoir ce qui s'y passe (même si on ne peut pas parler de charge en règle ici, c'est donc un détail). Ce qui me gêne avant tout, c'est que le grand public en ressorte en se disant : "ah d'accord, c'est ça faire de la musique classique !". De même que j'avais craint l'image que donne du jazz un film comme Whiplash, où l'on voit un batteur de jazz qui ne travaille que sur la performance (jusqu'à se faire saigner les mains ! n'importe quoi), jamais sur la musique (on ne le voit pas écouter un seul disque de jazz !).


En conclusion, un film qui m'a laissé une impression de déjà vu (les Choristes - que je n'ai pas vu - par exemple, mais aussi nombre de films de Ken Loach ou "The Full Monty" ont cet argument), jusque dans ses qualités (la captation des ados était déjà la force de "Entre les Murs").


Allez, une note positive pour finir : j'ai beaucoup aimé la scène où Simon aperçoit la tête ébahie d'Arnold derrière la vitre au début du film. Bien vu !

Jduvi
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le 8 nov. 2017

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Jduvi

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