Un vieil homme arpente les routes dans son pick-up. Rien de particulier, juste ce vieux monsieur sans histoires. Il a vécu une longue vie, qui n’a pas toujours été facile, surtout pour son entourage. Celui qui était à cheval sur le soin accordé à ses fleurs se voit désormais jouer les mules pour les cartels.


Gran Torino avait été annoncé comme le dernier grand baroud d’honneur de Clint, ses adieux à la carrière d’acteur, restant une bonne fois pour toutes derrière la caméra. Des adieux tout à fait émouvants et réussis, très personnels et engagés. Mais ce vieux briscard de Clint en avait encore sous la semelle. A bientôt 89 ans, sa tête grouille de projets, et on ne peut que constater à quel point le cinéaste est prolifique, nous faisant embarquer dans son pick-up à peine une année après avoir embarqué dans le Thalys pour Paris. Clint a des choses à dire, beaucoup de choses, et le visionnage de La Mule ne peut que confirmer ce besoin de parler, d’extérioriser, de s’ouvrir à ses spectateurs.


Le parallèle entre La Mule et Gran Torino était difficilement évitable, tant les deux films ont un aspect testamentaire, manifestant une volonté de faire un bilan. Mais là où Gran Torino était relativement violent, sec, rugueux, La Mule est beaucoup plus doux et apaisé. En effet, c’est une sensation d’apaisement qui accompagne le spectateur devant La Mule, dont le contexte pouvait largement favoriser l’installation d’une ambiance anxiogène, mais il s’agit bien pour Clint Eastwood de lâcher prise et de trouver une forme de paix intérieure. A l’image de son personnage, Earl, le cinéaste, qui a dédié sa vie à son travail, au risque d’avoir été un piètre mari et père de famille, échouant maintes fois dans sa vie personnelle, prend aujourd’hui la vie comme elle vient. Il a une véritable expérience de la vie, qui s’associe paradoxalement à une forme de candeur parfois touchante, parfois plus que maladroite, notamment lorsqu’il qualifie de « nègres » une famille de Noirs qu’il aide en changeant leur roue.


Tout, dans La Mule, manifeste une certaine volonté de faire preuve de simplicité. Pas de folies au niveau de la mise en scène ni du scénario, la modestie est de mise, pour mieux faire transparaître la personnalité d’Earl, son rapport au monde et ses relations avec les autres personnages. Car s’il y a bien du thriller et une intrigue policière dans La Mule, le dernier film de Clint Eastwood vaut surtout pour ce portrait touchant d’un vieil homme qui court après le temps et qui cherche à recoller les morceaux. Un portrait qui fait d’ailleurs écho à d’autres portraits réalisés dans l’histoire du cinéma, comme celui du vieil homme dans Les Fraises Sauvages d’Ingmar Bergman, également ancré dans une démarche d’apaisement, de remise en question et de bilan.


Si l’on peut se dire que La Mule n’est pas forcément l’un des plus grands films de Clint, on ne peut que constater l’honnêteté et la sincérité dont il fait ici preuve. Ce vieil homme, qui a vécu pour sa passion et son travail, ce féru de musique qui écoute et chante sur de vieux classiques en prenant la route, aussi taciturne qu’attachant, porte peut-être le nom d’Earl Jones, mais c’est bien Clint Eastwood qui parle et vit à travers lui. Alors que le temps passe, qu’il fait son œuvre, Clint reste debout, lucide, impassible, et cultive son petit jardin dont on espère qu’il nous fournira encore de belles fleurs.

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le 31 janv. 2019

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