Après le déraillement inexplicable de « Le 15h17 pour Paris », Clint Eastwood rempile pour une nouvelle double casquette, à une toute autre saveur. La vieillesse lui tend les bras depuis un moment, mais le moment est venu pour cet homme au parcours richissime de faire le point sur sa carrière et sa vie privée. Grâce au scénario de Nick Schenk, à qui on doit le caractère roublard de Walt Kowalski dans « Gran Torino », on trouvera la justesse et la subtilité nécessaire pour se convaincre d’une aventure atypique, au milieu d’un champ de fleur, là où poussent les plus belles comme les plus détestables des pétales. Il s’inspire alors de la vie de Leo Sharp, ancien vétéran de la Seconde Guerre Mondiale, qui s’est reconverti dans une activité ludique et lucrative.


On nous lance alors dans la dure réalité de Earl Stone, où Eastwood campe parfaitement ce personnage affaibli, mais qui ne manque pas de courtoisie et de sociabilité. Bienveillant jusque dans les plus petits détails d’une vie, pourtant son image se brise par la plus simple des maladresses, celles que l’on ne pardonne pas si aisément. Il fait bonne figure auprès de ses amis ou de ses collègues, mais quand vient le temps où ses racines le rappellent à la raison, il n’est qu’un déserteur, un homme qui fantasme un peu trop et qui n’arrive pas à saisir le moment le plus cher et le plus doux de son existence. Tout l’intrigue enchaîne sur des oppositions du genre et apporte également une touche moderne vis-à-vis de son personnage, perdu dans une époque lointaine. La technologie est souvent et gratuitement taclée, car elle est synonyme de dépendance, là où le personnage n’est pas du tout en phase. Il rompt avec sa famille, malgré ses efforts pour renouer des liens, c’est pourquoi il accepte la vie comme un challenge. Son ouverture d’esprit lui permet donc de s’orienter vers des opportunités dont il n’imagine pas les conséquences.


La détresse de l’âge n’est pourtant pas un handicap dans son sillage qui est fait de générosité et de crédulité. On le découvre rapidement avec beaucoup d’élégance et d’énergie, puis il s’essouffle rapidement, tout comme le récit qui perd en ingéniosité. Il prend alors une déviation vers une rétrospective moins bien huilée qu’auparavant. On le sent déjà en bout de carrière depuis un moment ce cinéaste qui ne s’arrête jamais. Il cherche encore des leçons à tirer de cette épreuve qui résonne comme un final apaisant pour son cœur, chargé en émotions. C’est peut-être là la faiblesse qui ampute son art d'une qualité que l’on croit envolée, voire oubliée. Tantôt cela tient la route, mais les rebondissements s’avèrent souvent mal amenés. Il cherche sans doute un pardon, mais cherche avant tout à s’interroger sur la vieillesse qui le ronge et qui l’inquiète, faute d’être encore trop ambitieux à ce stade.


Ce n’est donc pas qu’une histoire sur la transparence d’un Cartel qui monopolise encore les transactions dans les états du sud, « La Mule » exploite un décor changeant et la psyché d’un homme qui en a trop fait seul. Mais pour arrêter, il faudra un contrepied dramatique et personnel ou bien qu’on lui impose la retraite. Dans tous les cas, Eastwood est ouvert aux éventualités et détaille avec précision à quel point ses rides cicatrisent en lui comme un regret dans la peau. Il a préféré le cadre d’un film afin de s’exprimer pleinement et de prouver qu’il a fait son temps, malgré les intempéries et la débâcle d’une grande qualité.

Cinememories
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le 1 mars 2019

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