Pauvres âmes en perdition, en mal de tout !

Comment fait-on peur aujourd'hui ?


Une question à laquelle répondait déjà Ça l'an passé.
Là où le Pennywise de 1990 était un montre déguisé en clown ordinaire, agissant au beau milieu même d'une foule qui n'y voit pas malice, celui de 2017 agissait à l'écart, souvent dans l'ombre et en passant de l'immobilité au mouvement soudain et rapide. L'un agissait sans musique ou du moins sans tonnerre, l'autre déclenchait les secousses d'un tyrannosaure de Jurassic Park à chacune de ses apparitions.
Hier, on cherchait le dérangeant, l'inquiétante étrangeté qui met mal à l'aise et trouble les frontières du réel et de l'imaginaire. Aujourd'hui, des chuchotements, des bruits de pas qui courent, une rapidité devant laquelle se sentir impuissant.


La Nonne cherche à jouer sur les deux tableaux, le bruit et la fureur d'un côté, l'ambiance et l'inquiétude de l'autre, mais ne parvient bien souvent qu'à participer l'esprit moderne. L'ambiance gothique, obscure et froide est bien là mais lorsqu'elle cherche à produire de l'inhabituel, ce n'est pas de l'inquiétante étrangeté, c'est du merveilleux.


En témoigne un final aussi impressionnant que l'immense taille de la Nonne, terrifiant et grotesque à la fois. Terrifiant si on joue le jeu ou si l'on ignore la référence qui saute immédiatement à l'esprit: l'héroïne et son amant sont dans l'eau et surgit soudainement de l'onde la Nonne devenue gigantesque. Cela ne vous rappelle rien ? Et si je remplace la jeune femme par une sirène, le chasseur par son prince et la Nonne en pieuvre à la recherche de "pauvres âmes en perdition, en mal de tout" ?
Terrifiant par son esthétique impeccable, grotesque par son allusion un peu hors de saison de La Petite sirène de Disney. Terrifiant malgré tout car, déjà, cette scène du dessin animé de la firme aux grandes oreilles était entré dans les annales des scènes de cauchemar.


Reste que le film,sait jouer avec les mécanismes actuels pour provoquer l'effroi, ne tombe qu'assez peu dans l'horreur et sait même assez bien jouer par moment de la suggestion.
Reste une très belle esthétique religieuse, sylvestre qui pose une ambiance mortuaire et ténébreuse propice à l'épouvante.


Point fort, le film use de ses décors et de la peur du citadin new-yorkais ou parisien de ce qu'il ne connaît plus: la forêt est devenue un lieu mystérieux et dangereux et la religion chrétienne, si moquée et déprisée des esprits semi-habiles, est devenue matière à cauchemar. Tout ce qui est archaïque est nouveau ou oublié à ses yeux: ainsi la tradition des cloches rapportée dans La Maison du clair de lune par Mary Higgins Clark sert ici un terrifiant fusil de Tchékhov où le lieu commun de l'enterrement tout vif s'accompagne d'une présence démoniaque inattendue lorsque le sauvetage doit faire retomber la pression.
Point faible, le film lance plusieurs pistes secondaires qui ne servent finalement que les facéties de Valak pour frapper les protagonistes là où ça fait très mal. Notre prêtre cache un exorcisme raté ? Nul besoin d'en savoir plus: le garçon qu'il n'a pas su sauver ne sera que l'une des manifestations diabolique du démon à son endroit. Notre jeune soeur a des visions depuis toujours ? Cela sera utile mais restera inexpliqué en termes de vocation. Leur guide a lui même un passé de débauche à peine esquissé ? Cela le rendra faible face à Valak, sans plus.


Mais il est vrai que ce que le spectateur recherche dans un film d'épouvante, c'est avant tout l'épouvante et le film ne cesse de remettre en question le sain et saint équilibre des personnages à coups de visions et de mirages. Il est en fait dommage que le screamer bien nommé prenne le pas sur l'inquiétante étrangeté. Le bruit assourdissant, les effets sonores font souvent, hélas, bien plus que les images et c'est cette bande sonore qui fait toute la peur du spectateur.


Un très bon film d'épouvante, tout en ambiance, peut-être un peu trop en surface.
Une suite serait-elle attendue ?

Créée

le 1 nov. 2018

Critique lue 373 fois

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Frenhofer

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