La bande-annonce nous promettait essentiellement deux choses : un spectacle étourdissant et une confrontation sans merci entre les hommes et les singes. À cet égard, les déceptions risquent d'être légion, une fois considéré que l'on ne compte que deux séquences véritablement éruptives – l'ouverture, jubilatoire, et le final, assez lourdaud – et que l'affrontement inter-espèces longtemps escompté tend à s'éclipser derrière la guerre que se livrent entre eux les hommes. Le gros de Suprématie est en fait une question de cheminement. Celui qui rapproche toujours plus le chef César du séditieux Koba, et qui se voit péniblement sursignifié à plusieurs reprises, notamment par des apparitions fantasmées. Celui qui pousse un colonel contesté, devenu paranoïaque (caution Apocalypse Now ?), à éradiquer une partie de sa propre espèce, sous couvert (détourné) de darwinisme. Woody Harrelson campe avec ce qu'il faut de charisme – et de plans iconiques – ce gradé de l'armée qui aspire à mettre César six pieds sous terre, mais qui se fourvoie bêtement en assassinant son fils aîné et sa femme, point de départ d'une chasse à l'homme des plus classiques et prévisibles.


Graphiquement, Suprématie a du répondant. La photographie de Michael Seresin nous gratifie de plusieurs plans à couper le souffle, tandis que la performance capture et la facial motion capture continuent de conférer aux singes une charge émotionnelle hautement anthropomorphique. La mise en scène de Matt Reeves fait quant à elle pleinement sens : elle restitue avec tout l'apparat d'usage les moments les plus spectaculaires et prend des airs plus intimistes quand il s'agit de travailler l'empathie du public ou de se porter à la hauteur des personnages. Le problème essentiel de cet épilogue se situe donc ailleurs. D'abord, il faut noter que les enjeux qu'il cherche à poser ont déjà largement émaillé le volet précédent, ce qui peut donner l'impression d'une machine tournant à vide. Avant de se diluer dans Suprématie, les divisions et les actes de duplicité, chez les hommes comme chez les singes, ont constitué la colonne vertébrale de L'Affrontement, qui traitait également certains thèmes et dilemmes moraux dont on perçoit ici les prolongements et variations, par exemple ceux englobant la vengeance personnelle, la haine raciale et la survie de l'espèce.


Que retenir alors d'une pellicule longue de 140 minutes ? Matt Reeves semble emprunter au western, au film de guerre, à l'histoire (les camps de travail, l'hygiène raciale, la résilience des peuples), mais sans pour autant parvenir à la profondeur attendue et espérée. Les trames narratives paraissent trop chiches, les personnages pas assez nombreux et/ou caractérisés, les moments de flottement trop fréquents pour pouvoir porter ce qui était annoncé partout comme une épopée grandiose. Même les « échanges » interraciaux aperçus dans la bande-annonce se confondent finalement avec quelque artifice sans réel fondement scénaristique. Que le dialogue inter-espèces soit possible – même avec des muets ! –, on le savait déjà depuis le premier film. Qu'il soit entravé et mis à mal par des comportements sectaires ou radicaux, cela était démontré avec force tout au long du second opus. La plus-value de l'immixtion des hommes chez les singes, et réciproquement, apparaît du coup pratiquement nulle, si ce n'est au détour d'une scène symbolique dans un camp militaire ou pour éclairer ex ante les crimes de sang du colonel... Insuffisant.

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le 23 juil. 2017

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