Ultime oeuvre de Kenji Mizoguchi qui décèdera d'une leucémie peu après, La rue de la Honte nous emmène au coeur du quartier des plaisirs de Tokyo, où une nouvelle loi discutée au parlement et prévoyant l'interdiction de la prostitution provoque l'inquiétude.
Mizoguchi dresse le portrait de quelques prostitués vivant dans ce quartier, où Mickey, une nouvelle employée sans complexe, semble en marge du groupe, elle qui fait cela pour l'argent alors que d'autres sont ici pour des raisons particulières (aider un proche à sortir de prison, pouvoir offrir le meilleur avenir à son fils, s'occuper de la maladie d'un mari etc). Il fait preuve d'une vraie justesse, ne tombant pas dans la facilité, la surenchère ou le pathos mais captant la dure réalité de la vie et mettant ces femmes face aux mensonges, hontes, désirs ou cynismes.
L'écriture est d'une grande justesse et profondeur tandis que chacune de ces femmes est rendue intéressante. Kenji Mizoguchi met en avant leurs motivations, avec souvent l'argent comme base principale mais aussi le cycle infernal et terrible dans lequel elles peuvent tomber et les pièges que l'on trouve sur ce chemin. Il se montre humaniste, ne jugeant pas mais filmant tout simplement la vie par le prisme de ces femmes. Le destin individuel de chacune est bien traité et l'équilibre est toujours juste tandis qu'il aborde aussi la violence et la famille, mais avec réalisme, sans retenue mais sobriété. Il arrive à faire ressortir toute la richesse, voire l'émotion dans certains cas, de ces destins, s'attachant aussi à une certaine science du détail ne faisant qu'accentuer la richesse et l'intérêt pour l'oeuvre.
Derrière la caméra il se montre là aussi brillant, sublimant chaque ligne de script et faisant bien ressortir l'atmosphère que ressentent les prostituées. Il montre bien la façon dont cette société est hypocrite, notamment à travers des scènes chocs et mémorables. La mise en scène est assez élégante, sachant nous immerger aux côtés des personnages tandis que le montage est lui plus sec, voire nerveux. La belle photographie en noir et blanc participe pleinement à l'ambiance mise en place tandis que devant la caméra, les interprètes sont impeccables, Machiko Kyō et la magnifique Ayako Wakao en tête.
Peu de temps avant de mourir, Kenji Mizoguchi livre une dernière oeuvre où il dresse un portrait de la société japonaise à travers le destin de quelques prostituées durant l'après-guerre, et c'est avec justesse, talent, réalisme et sans concessions qu'il le fait.