La Traque
7.5
La Traque

Film de Serge Leroy (1975)

Par Dessus L'étang, Soudain J'ai Vu Passer Les Lois Sauvages

Comme je l'ai déjà fait ici et comme j'espère je continuerai longtemps à le faire, je tiens à saluer l'excellent travail de l'éditeur Le Chat qui Fume qui nous permet aujourd'hui de (re)découvrir dans une magnifique copie La Traque, une petite merveille venimeuse du cinéma français des années 70. Si la carrière de son réalisateur Serge Leroy est pour le moins irrégulière, La Traque sorti en 1975 reste sans contestation possible le chef d’œuvre de sa filmographie.


La Traque raconte l'histoire de huit notables et petits bourgeois de province qui se réunissent pour une partie de chasse entre amis. Au même moment, en cette banale journée d'automne une jeune anglaise visite une maison perdue dans la campagne qu'elle envisage de louer. Lorsque cette jeune femme croisera la route de deux frères chasseurs juste un peu plus sauvages et alcoolisés que les autres, elle sera violée avant de blesser mortellement l'un de ses agresseurs. Après sa fuite la jeune femme se retrouve traquée par les huit hommes en quête d'un improbable arrangement...


Si le pitch de La Traque ressemble à celui d'un classique rape and revenge le film de Serge Leroy s'en démarque très rapidement par une formidable mécanique d'écriture qui dépasse de très loin la plupart des clichés habituels du genre. Bien loin d'offrir une galerie d'affreux individus violents et brutaux immédiatement dangereux et détestables La Traque nous propose au contraire une galerie de petits bourgeois notables et tout à fait respectables dont la plupart seront d'ailleurs innocents et absents au moment du viol. La force du film de Serge Leroy étant justement de démontrer comment par une mécanique sourde , diffuse mais implacable de médiocrité et de lâcheté ordinaires tous se retrouveront finalement complices. Le film a même l'intelligence de nous montrer que dans un premier temps tous (sauf les auteurs de l'acte bien sûr) condamnent avec fermeté le crime que vient de subir cette jeune femme. Mais doucement et par de petites touches d'écritures toujours bien senties le film tisse la toile d'une complicité tacite entre ses hommes qui sont parfois liés par les secrets nauséabonds de petites et grosses saloperies passées. Mais ces hommes vont aussi faire corps plus simplement par lâcheté, par soumission sociale, pour préserver leurs réputations, par peur ou pour répondre à de stupides lois militaire de clan. Bien loin d'une meute caricaturale d’abrutis fusils à la main La Traque dresse un portrait bien plus inquiétant et sournois, celui d'une criminalité silencieuse celle de la complicité coupable. La Traque devient de plus en plus étouffant et sombre à mesure que l'on découvre avec terreur comment ces personnages, dont certains semblent même sympathiques dans un premiers temps, vont glisser vers les abîmes d'un vrai festival de saloperie ordinaire. Le film est parfaitement ciselé, remarquablement et finement écrit par André-Georges Brunelin qui parvient à faire monter crescendo une tension qui va de paire avec la nausée qui nous accompagne de plus en plus face à l'inéluctable enchaînement des événements. Quant à la mise en scène de Serge Leroy elle est elle aussi remarquable, le réalisateur accompagne ses personnages caméra à l'épaule, s'enfonce dans les sous bois de plus en plus denses pour accompagner la fuite de son héroïne et semble parfois se poser pour contempler l'écrin de nature qui devient théâtre des cruautés . Le film est quasiment dénué de musique laissant beaucoup de place aux bruits de la nature, aux silences impassibles des sous bois, au joyeux chants des oiseaux et aux tristes discours des hommes. Il faut aussi saluer la magnifique photographie automnale de Claude Renoir auquel le Bu-ray rend justice et qui donne aux films des allures inquiétantes de campagne brumeuse et crépusculaire.


Impossible bien sûr de parler de La Traque sans évoquer son formidable casting avec pour commencer les deux frères par qui le drame va arriver qui sont interprétés par un Jean Pierre Marielle impériale en authentique salaud à la bonhomie grivoise et Phillipe Léotard inquiétant en chien fou au sourire charmeur incapable de canaliser ses pulsions animales. On retrouve aussi le trop rare Jean Luc Bideau absolument parfait en petit bourgeois aux ambitions politiques dont la mythomanie et la vantardise viril feront germer bien malgré lui les premières idées lubriques dans la tête des deux frangins. Michael Lonsdalle nous gratifie de son immense talent pour incarner un propriétaire terrien d'une lâcheté poisseuse et Michel Constantin incarne un militaire droit dans ses bottes appliquant jusqu'à l'absurde un code d'honneur et de solidarité envers le groupe et la meute. On retrouve aussi dans La Traque le si doux et sympathique Michel Robin (Fraggle Rock quoi !!) qui incarne ici un agent d'assurance totalement soumis, lâche et pleutre et Paul Crauchet qui restera longtemps un peu en retrait du groupe avant de les rejoindre et d'orchestrer l'immense mensonge final avec cette fabuleuse réplique symbole de la légitimité des monstres aux costumes respectables « N'oubliez pas que tout ce que nous diront a de fortes chances d'être cru ». Pour compléter le tableau (de chasse) il faut aussi saluer la performance de celui qui reste peut être le moins connu de la bande, le pourtant très talentueux Gerard Darrieu (Plus de 70 films au compteur) qui incarne un garde chasse complètement soumis à son maître. Et puis bien sûr il y-a la magnifique, fragile et diaphane Mimsy Farmer qui est absolument bouleversante dans le rôle de la belle parmi les bêtes. Un rôle fort et difficile tant physiquement que psychologiquement que la jeune comédienne américaine porte avec force et détermination jusqu'à ce final terrassant de beauté, de cruauté et de tristesse dans laquelle la comédienne parvient à nous faire ressentir jusqu'à l'os l'émotion et la rage de son funeste sort. Un final absolument glaçant qui remue les tripes comme rarement et qui donne aux spectateurs la sensation d'avoir lui même été traqué pendant 90 minutes jusqu'à l’hallali émotionnelle.


La Traque est vraiment un immense film qui ne souffre de quasiment aucuns défauts. Le film de Serge Leroy est intelligent, intense, radicale , suffocant et bouleversant. Quant à sa condamnation sans appel de toutes les lâchetés et silences complice des crimes ordinaires, elle est absolument implacable et malheureusement toujours autant d'actualité.

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le 5 mars 2021

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Freddy K

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