La Vengeance
2.9
La Vengeance

Film DTV (direct-to-video) de Stevens Simon et Morsay (Mohammed Mehadji) (2012)

La vengeance est un plat qui se mange avec des bières et des potes

Ah, bon sang, j'attendais de pouvoir le voir, La vengeance, depuis que j'avais découvert la bande-annonce en cherchant celle du film éponyme de Cheh Chang (spéciale casse-dédi à celui qui m'a passé le DVD, sans quoi je ne l'aurais jamais regardé). Et dès qu'il a été disponible en streaming, avant sa sortie en DVD, j'ai vu se multiplier le nombre de personnes ayant vu ce film, même parmi mes éclaireurs sur Senscritique, me sentant dépassé rapidement. Mais j'attendais le bon moment pour le voir, ne pouvant pas m'y attaquer seul.

Morsay c'est ce type qui est plus connu pour ses coups de gueules sur youtube que sa musique (et c'est sûrement mieux ainsi), mais pas la peine de le présenter, sinon qu'est ce que vous faites ici ?
Le seul fait qu'il se mette à faire du "cinéma" justifiait la précipitation pour voir son oeuvre de plus de 2h. Surtout qu'il chauffait le public en parlant de ce cinéma français qui selon lui est endormi, et qu'il allait certainement réveiller en fanfare, ou en racontant comme un de ses potes a cassé le toit d'un hangar pour que son film ait "un meilleur grain".
Malgré les bâtons que les Illuminatis et Marine Le Pen ont mis dans les roues de Morsay, son film a pu enfin sortir ! Je l'ai enfin vu !
Par contre, il semblerait qu'il n'en soit pas sorti totalement indemne, n'ayant pas été nominé aux Oscars comme prévu. Faut dire aussi qu'en dépit de tout ce battage médiatique sur le net, Morsay s'y est mal pris pour sa promo : il a sorti son film le lendemain des Césars.
Il pensait sûrement que le film ferait parler de lui-même sans avoir besoin de cela, et il avait raison.

La vengance, c'est à Truand de la galère ce que X-men first class est à ces mutants en combinaisons jaunes et noires : les origines !
Surfant sur la mode des préquelles explicatives, Morsay nous présente par quelques allusions fines la genèse du surnom de Zehef, de son groupe Truand de la galère, et de son propre surnom (quoiqu'il semble sorti de nulle part).
Le film est "sorti d'une histoire vraie" comme l'affirme la bande-annonce, et c'est ainsi que l'on apprend comment s'est faite l'ascension des deux lascars. Non pas par des clashs par vidéos sur Youtube, mais par la fabrication de 300 t-shirts en 30mn, revendus presque aussitôt un peu partout dans le monde.
Comme pour nous rappeler de temps à autre le contexte, il y a des allusions qui nous aident à nous raccrocher à une époque, comme celle faite à Bush, alors encore président, et à qui Morsay dit fuck.
Il semblerait toutefois qu'au cours du film, on progresse jusqu'à se retrouver dans le futur, le héros disant à un moment que l'on est proche de 2020.
Il faut dire que la temporalité de La vengeance est complexe. C'est ainsi qu'après un carton indiquant "24h plus tard", Morsay et Zehef se retrouvent au commissariat, où un policier les blâme d'avoir foutu la merde dans le poste depuis 48h.
Le découpage du film par des cartons indiquant quelle heure il est n'aide pas beaucoup plus. Le temps est dilaté, les héros semblant pouvoir faire une multitude de choses en l'espace de deux journées seulement, dont faire fortune.
Chronos semble devenu impuissant devant l'invincible Morsay, n'ayant plus d'emprise sur sa vie ni celle de son frère, qui ont pris le contrôle à sa place. Ce qui leur permet d'avoir une barbe d'une épaisseur variable au cours d'une même journée, ou changer de t-shirt plusieurs fois sans raison. Mais à chaque fois, ce sont des shirts "Truand 2 la galère", évidemment. Et d'un jour à l'autre, à une même heure, il peut faire jour ou déjà nuit. Les heures précisées à l'écran semblent donc seulement relever de la référence à La haine, film phare sur la banlieue.

Morsay disait travailler avec tous les plus grands dans le domaine du cinéma. Que ce soit vrai ou non, on peut juger au moins de la qualité de ses références, s'inspirant de tous les plus grands.
L'évocation de l'an 2020 ne serait-il pas un clin d'œil à 2020 Texas gladiators (quoique j'imagine plutôt 2019 après la chute de New York) ?
Il y a aussi un peu de Yamakasi, quand Morsay fuit des flics en sautant depuis plusieurs hauteurs, étant admiré par des gosses, avant d'atterrir près d'un couple posant pour des photos en arborant des vêtements de la gamme "Truand de la galère".
Les bouteilles qu'un adversaire tape entre elles d'un air goguenard, ça vient de The Warriors ; Morsay qui dit rentrer pour profiter d'un "grand sommeil", c'est Hawks !
Il y aussi un peu du Parrain quand le héros, de retour dans son quartier, refuse de céder à la vente de coke. Quelle justesse de sa part, de tenir tête à ce dealer qui, selon lui, "vend des barrettes de 20€ à 10€". C'est vrai quoi, la coke c'est de la merde, faut en rester à la vente de shit. A moins que Morsay ne se décide à se reconvertir dans la revente de Petits écoliers, gâteaux qu'il savoure dès sa sortie de prison, se croyant dès lors au 7ème ciel.

Ca paraît fou quand on se rend compte, vers le début, que Morsay sera le personnage principal pour le reste du film. Quel héros !
Il y a un peu de Batman en lui : il propose à un de ses amis de lui présenter Catwoman, celle qui "porte des chattes" (et qu'on voit en image subliminale wtf).
Il y a un peu d'Astérix aussi : "il est trop fort, il est trop rapide", "ils étaient deux" (dit un groupe de 5 skinheads).
Au cours des 2h, le film parvient à rendre toute l'ambigüité que l'on peut trouver en un être si complexe : il critique les gens qui courent après l'argent juste après avoir volé les porte-monnaie de deux femmes ; il jure sur la vie de sa mère et aime insulter celles des autres, mais dédie son premier film à sa maman chérie ; il est pratiquement invincible pendant la moitié d'un film puis d'un coup se retrouve à l'hôpital on ne sait pas vraiment comment ; la première chose qu'il trouve à dire à la policière qui vient le contrôler c'est "je parle pas aux femmes", confirmant alors éventuellement la théorie de Vincent McDoom voulant qu'il soit gay, mais cherche pendant tout le reste du film à baiser (ou, comme il le dit, "tartiner"). Ce qui n'arrive pas, comme dans tout bon film avec procédé déceptif sous influence antonionienne.
Difficile de cerner le bonhomme tout de même. Est-ce que le personnage est une blague ? Quand il sirote sa boisson au restaurant, demande de l'eau du robinet au serveur, et bouffe comme un cochon, il est clair que Morsay se veut comique, et pourtant son personnage en veut aux deux femmes avec lui pour le rejeter, et finit par leur voler leur argent. Où est la logique dans l'esprit du réalisateur/scénariste ? Il faudra que je médite sur tout ça.

Morsay fait passer son film d'un degré à un autre, sans penser à la cohérence de l'image que l'on a alors de son personnage. S'il s'en moquait, ok, mais le personnage qu'il interprète dans le film c'est tout de même lui. Et en dépit des quelques piques qu'il se lance inexplicablement à lui-même, il paraît tout de même vouloir se montrer comme une figure forte et juste. Certes, il vole des biscuits dans un magasin de quartier, mais Morsay justifie ses actes plus tard, car en tant que héros du film c'est malgré tout quelqu'un de bon qui a sa logique. Même si c'est un violent qui casse tout inutilement au point d'en être immédiatement risible.
Dans un grand discours à Zehef, il raconte comme son père a construit la France, a bossé pendant 50 ans, même qu'il a eu un cancer, pour conclure qu'il baise l'Etat comme Scarface.
Et puis de toute façon, Morsay il se bat contre des skinheads trouillards voire obèses, qui sont en plus de ça néo-nazis !
Les nazis, ce sont les méchants parfaits, tout le monde ne peut que les détester. Ici, l'histoire du grand vilain est celle d'un policier à cause de qui Morsay est allé en prison, qui tombe en décadence, ce qui se traduit dans ce film par se tatouer des croix gammées au stylo bille sur le torse et afficher des posters de Slayer dans sa chambre. Le hasard veut que le jour de sa sortie de prison, Morsay se bastonne avec des skinheads qui sont des hommes du méchant flic déchu ! Tout est parfaitement ficelé dans ce film, tout est lié, car il se trouve aussi que l'arabe que le néo-nazi a payé pour tuer Morsay est le fils de la femme dont notre héros a "sauvé la vie", la défendant contre les skinheads !
Inutile de dire qu'une histoire de tragédie grecque pareille ne peut mener qu'à un grand final où la tension est à son comble.

Morsay est, si je puis-dire, quelqu'un de particulièrement éclairé. En témoigne cette image incroyablement surexposée. A dire vrai, je ne savais même pas qu'on pouvait être si surexposé, il faut que le diaphragme ait été ouvert à fond et que l'opérateur mette du gain en plus, c'est pas possible sinon.
La vengeance est plein de parti pris audacieux dans le genre : des cadrages qui scalpent les personnages, quand ceux-ci ne sont pas totalement absents du champ ; des gros plans sur des crânes rasés, sur des raies de cul, ... Il y a à un moment un panoramique avec zoom au milieu duquel on a l'impression que le cadreur se rétracte, revenant en arrière finalement.
Le son présente lui aussi de nombreux défauts, les bruits de rue couvrant les dialogues, laissant à penser qu'il n'y avait pas de perche sur le tournage mais seulement le micro de la caméra. Enfin, c'est assumé : quand on entend une mobylette au lieu de ce que disent les personnages, le bruit parasite est raccord d'un plan à l'autre. Il y a aussi le problème des paroles qui ne sont pas synchronisées avec les mouvements de lèvres.
Les sous-titrages sont bourrés de fautes, mais là-dessus le rappeur de Clicli s'est expliqué : il a gardé les fautes exprès, pour prouver que quelqu'un qui n'a pas fait de grandes études peut aller loin dans la vie. C'est tout à son honneur ; quel bel exemple pour la jeunesse.
Les fautes laissées volontairement, les passages jour/nuit au cours d'une même scène... on reconnaît là une démarche à la Pialat, peu importe les faux-raccords image, tant qu'il n'y a pas de "faux-raccord émotion".
Le son pris de façon sauvage, les surexpositions, ... Morsay ferait-il du cinéma naturaliste ? Cela expliquerait ces lumières d'extérieur changeantes d'un plan à l'autre, alors même que d'après le générique il y a eu de l'étalonnage.
Il présente pourtant dans son film un monde bien à lui, un monde dans lequel les vigiles de supermarchés ne font rien quand quelqu'un vole, si ce n'est appeler la police, qui rapplique de suite. Morsay dépeint sa vie à la GTA SA, où toutes ses recrues portent les couleurs de leur chef, avec dans ce film des shirts "Truand de la galère" tous de bon goût. Quoique, j'extrapole peut-être, étant donné que tout le monde porte ces t-shirts. Même les gens que Morsay n'a pas encore revus depuis sa sortie de prison.
Le porte-parole du ter-ter impose aussi son langage à lui : "tartiner", "bourricot" pour désigner ses camarades de jeu, "j'ai attendu une demi-plombe", ...
Du coup, à se placer ainsi au plus près du personnage, je m'interroge encore sur cet usage du hors-champ, ne laissant parfois pas voir un doigt d'honneur ou les coups de pieds que le héros donne aux skinheads.
Enfin, je n'ai pas encore tout saisi du film, peut-être faudra-t-il le revoir, notamment pour comprendre la portée de ce dialogue sur les pieds qui puent, qui ne peut qu'être important étant donné comme on s'attarde dessus.

Un bon film donc, qui fait rire, qui fait pleurer (de rire), et qui suscite à de nombreuses reprises cette réaction que j'aime beaucoup : s'écrier "naaaaaaaaan", sous-entendu "non, ils n'ont pas osé ?!".
Je suis juste un peu déçu que la BO, qui ne comporte pratiquement que des chansons de Morsay qui couvrent au moins 90% des images, ne nous gratifie pas de la présence du titre "On s'en bat les couilles", qui aurait pourtant très bien eu sa place ici, au vu de l'usage récurrent de cette expression par le personnage principal.
En conclusion : si vous voulez voir des avions s'écraser sur le World trade center, il fallait appeler Ben Laden.
Et si vous n'êtes pas d'accord, je vous pisse dessus depuis le haut de la tour Eiffel. En brochette. :)
Fry3000
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le 4 mars 2012

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