Les louanges qui entouraient l'indomptable vie d'Adèle avaient de quoi intriguer. Tout en nous rendant vivement avides de visionner cette longue chronique. Instants d'une vie normale, réalisme forcené, histoire d'amour universelle, marques du temps, ferveur corporelle à n'en plus finir... L’œuvre à tous les atouts pour plaire. Et ça marche.
Cependant Kechiche est un réalisateur de l’extrême. Pas de juste milieu dans la dénonciation. Tout est trop dur, trop rond, trop blanc ou trop noir. Il accouche par conséquent d'un important manque de finesse dans ce qu'il illustre. Son message n'en est ni plus cru ni plus réaliste ni plus émouvant, il en est simplement rabaissé. Ce qui est extrêmement dommage pour les sujet qu'il aime à aborder. L'opposition entre le monde d'Emma et celui d'Adèle est appuyé de bien trop lourde façon. Huîtres/spaghettis, culture/cuisine, institutrice/peintre, Sartre/Bob Marley, tolérance en fonction du milieu... Pourquoi trop insister sur l'incompatibilité sociale surpassant le coup de foudre ? Ou du moins la chose aurait pu être traitée avec bien plus de subtilité. Il en va de même pour la recherche d'un réalisme profond. L’intention est excellente mais souffre également d'un manque d'inventivité tirant sur le leitmotiv (la bouche et l'arrière train d'Adèle en sommeil, le remontage de pantalon comme rituel quotidien, l’absorption de nourriture...). Et cette recherche constante plonge une fois de plus sur le trop. Être avide de quelque chose amène facilement l'excès. Illustration par le biais des scènes de sexe dont le bémol n'est pas la longueur mais les mauvaises raisonnances dont la fausseté frôle l’agacement. Cependant on conserve certains plans très esthétiques et de légers instants de réalismes plus subtils.
Autre questionnement : Pourquoi couple mythique du cinéma ? Pourquoi une brillante ou magistrale histoire d'amour ? Le terme est trop fort pour plusieurs raisons. Ce récit surfe sur l'air du temps. Mais surtout parce que les rares instants de vie commune illustrés sont des moments connus de tous. Coup de foudre, rencontre, début de relation heureuse, plus rejet car incompatibilité ou agacement. Ceci nous l'avons tous vu, nous l'avons tous vécu, nous l'avons tous pleuré. Cependant les scènes communes entre les deux protagonistes sont bien plus charnelles qu'ailleurement fusionnelles et il est dès lors difficile de plonger dans l'intime vie du couple dont la rupture était cousue dès les premiers instants.
Malgré tous les défauts que j'ai su trouver à la Palme de cette année, et sur lesquels je viens présentement de disserter on lui doit bien beaucoup de choses. Des éclairs de beautés aux ciels de certaines scènes (magistrale du café pré-final) et dans les yeux de nos deux actrices. Également l'ultime fascination envers le personnage de Léa Seydoux, dont la beauté est littéralement enivrante.
La prestation d'Adèle Exarchopoulos qui tient ici le rôle de sa vie et pour ce cher Kechiche dont la recherche de vérité est magnifiquement plus que louable.
Comme pour un autre film de cette année portant sur les instants d'existence d'une jeune fille (le dernier Ozon), c'est un grandiose cocon d'émotions qui prédomine. Cette couche amoureuse, désespérée, brute et anti-technique qui englobe l’œuvre et qui la hisse au rang de réussite. Au delà de toutes les tares possibles et imaginables La Vie d'Adèle est un moment de cinéma intense, une phase temporelle invisible et une pensée de tous les instants.
Rat
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le 19 oct. 2013

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