"Tchikatchikatchik aïe aïe aïe tchikatchikatchik aïe aïe aïe!".L'opérette,sorte de version fun de l'opéra,fut un genre scénique très prisé autrefois,avant d'être enterré par la comédie musicale à l'américaine.Le genre fit notamment fureur dans les années 40-50 et le musicien Francis Lopez en fut l'auteur le plus en vue.Et parmi ses oeuvres,les meilleures et les plus successfull furent celles ayant pour vedette le ténor espagnol Luis Mariano,l'icône absolue de la discipline.Créée sur scène en 1945,"La belle de Cadix" est la première opérette écrite par Lopez et le premier rôle en vedette de Mariano,et obtint un succès surprise phénoménal,signant le début d'une longue et fructueuse collaboration entre les deux hommes.Triomphe oblige,l'oeuvre fut très longtemps jouée et le duo embraya sur d'autres spectacles,ce qui explique sans doute que "La belle de Cadix" n'ait été adaptée au cinéma que huit ans plus tard.Que reste-t-il aujourd'hui de ce genre musical qui fit les grandes heures des théâtres français,notamment le Châtelet,mais aussi étrangers,et de Mariano une star mondiale?Pas grand-chose à vrai dire,même s'il se pratique encore de manière discrète.Des petits malins entonnant "Mexiiiiiiiiico!" lors de fêtes de familles ou de karaokés,une référence dans "Nashville ou Belleville",très jolie chanson d'Eddy Mitchell:"on allait voir Luis Mariano dans "Le chanteur de Mexico",maman et moi on rentrait en métro".Et puis,heureusement,restent les films qui en ont été tirés,témoignages d'une époque joyeuse et insouciante,qui transposèrent au cinéma la ligne de partage entre les marianistes fanatiques et ceux que les espagnolades de Lopez faisaient ricaner.Quoi qu'on en pense,"La belle de Cadix" dégage de nos jours un réel charme suranné.Il s'agit,bien avant "La nuit américaine",de l'histoire d'un tournage virant ensuite au vaudeville improbable.La partie mise en abîme,"film dans le film",est plutôt réussie.Au point qu'on peut se demander si Truffaut ne s'est pas inspiré de "La belle de Cadix",ce qui est curieux quand on connait le mépris des gens de la Nouvelle Vague pour ce type de cinéma.Pourtant,la description du petit monde du cinoche,entre ironie et tendresse,est assez voisine d'un film à l'autre.Agitation,bricolage improvisé,histoires d'amour ou de coucheries.Et surtout,forte caractérisation des personnages.Ainsi,dans le film de Raymond Bernard avons-nous droit au réalisateur précieux et despotique,à l'assistant lèche-cul,au régisseur dragueur ou à la vieille actrice nympho.Tout cela est assez caustique et ne manque pas de contenu,soulignant les rapports difficiles entre l'art et la vie,la nécessité de jouer la comédie devant la caméra comme en privé,l'idôlatrie stupide des fans pour le monde du spectacle et la fascination paradoxale que celui-ci ne manque pourtant pas d'exercer même sur ceux qui lui sont rétifs.Techniquement,c'est pas mal du tout.Bernard a un solide métier,un superbe Gevacolor donne une image rutilante et les décors du sud de l'Espagne sont magnifiques.Quant à la partie musicale,c'est du tout bon,avec des danses réglées au millimètre,les mélodies imparables de Lopez dont les insubmersibles tubes "La belle de Cadix","La fiesta bohémienne" ou "Maria Luisa",et évidemment,pour porter l'ensemble,la voix puissante et maîtrisée de Mariano.Par contre,l'histoire d'amour qui parcourt le film manque de crédibilité tant les changements d'avis et d'humeur des personnages sont illogiques et marqués par des ellipses brutales,sans parler d'un abracadabrant argument de faux mariage.On peut remarquer également la peinture ahurissante qui est faite de l'univers des gitans,présentés comme de joyeux drilles n'aimant pas trop travailler et passant leur temps à danser dans de beaux costumes chamarrés et à jouer de la guitare.En fait,tout ça est très kitsch.Normal,l'opérette est l'art du kitsch.Côté interprétation,si Mariano est un acteur incertain,il compense largement par ses formidables talents de chanteur et de danseur.Il a face à lui son habituelle partenaire Carmen Sevilla,qui prête à l'indomptable gitane Maria Luisa son éclatante beauté et son charme mutin.Non contente d'être une danseuse hors-pair,elle se révèle ici une comédienne pleine de subtilité.On a aussi le plaisir de voir de vieilles connaissances parmi les seconds rôles.Claire Maurier est la fiancée de Mariano,une tragédienne prétentieuse et allumée.Claude Nicot excelle en jeune assistant freluquet et fayot.Et bien sûr il y a l'immense Jean Tissier qui mène le bal en réalisateur maniaque qui se la joue.Autre petit plaisir de ce cinéma révolu,la présence de silhouettes,ces troisièmes couteaux qu'on voit brièvement apparaître dans plein de films.Là,c'est l'indispensable Bernard Musson,grand maigre au visage de croque-mort qui a fait de la quasi-figuration jusque dans des pornos,qui surgit en réceptionniste d'hôtel.

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le 20 août 2016

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