Rien de plus casse-gueule désormais que le film "de psychopathe", sujet usé après une vingtaine d'années des mauvais (et de bons, aussi...) films hollywoodiens. La caution de "l'histoire vraie" vient d'ailleurs s'ajouter comme un méchant risque supplémentaire : entre le spectaculaire putassier et le point de vue moral forcément réducteur, entre le "c'est affreux, mais ça s'est passé comme ça !" et la complaisance envers l'esthétique du crime, comment trouver la place de faire un film "juste" ? C'est une question que s'est visiblement posé Cédric Anger, et même si ses réponses ne sont pas parfaites, il faut admettre que son "la Prochaine Fois je Viserai le Cœur" a sacrément de la gueule... La gueule de Guillaume Canet, d'ailleurs, excellent dans un mode paradoxalement atone et pourtant émotionnellement explosif : il porte le film jusqu'au bout, ou plutôt il porte parfaitement la vision d'Anger, en équilibre instable entre contemplation accablée d'actes abjects et dégoût profond envers la grisaille conformiste de la France de la fin des années 70. S'il y a des maladresses dans le film, ce sont les scories habituelles du genre qu'Anger n'a pas eu le courage d'éliminer radicalement : une musique trop envahissante, quelques explications psychologiques faciles - l'impuissance, l'homosexualité refoulée... Il est heureusement facile de les ignorer pour ne retenir que la grande justesse du regard sur les personnages, et surtout la magnifique juxtaposition d'éléments apparemment inconciliables : le dégoût du tueur pour la crasse et l'animalité, alors qu'il vit dans les ordures ; son amour de la nature et des animaux et sa haine de l'humanité ; son souci de transmission envers son jeune frère par rapport à son mépris irrépressible envers les faiblesses de ses collègues, etc. Mais la plus grande noblesse du film d'Anger, c'est de ne pas avoir peur d'affirmer que toute compréhension, toute empathie est impossible, mais que, en dépit de tout, ce psychopathe absolu partage beaucoup plus de choses avec nous, spectateurs embarrassés, que nous voulons l'admettre. [Critique écrite en 2016]

EricDebarnot
7
Écrit par

Créée

le 20 sept. 2016

Critique lue 295 fois

6 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 295 fois

6

D'autres avis sur La Prochaine fois je viserai le cœur

La Prochaine fois je viserai le cœur
eloch
3

Dans la brume électrique

Voilà que le cinéma français adapte à nouveau un fait divers après Vie sauvage de Cédric Kahn. Dans La prochaine fois je viserai le cœur, Cédric Anger s’intéresse non pas à un père qui fuit la...

le 23 nov. 2014

24 j'aime

12

La Prochaine fois je viserai le cœur
Gand-Alf
8

Derrière l'uniforme.

Entre le cinéma français et les affaires criminelles sentant bon le terroir, c'est un peu une histoire d'amour qui s'éterniserait jusqu'à plus soif, en gros jusqu'à la rupture, le divorce et la garde...

le 6 nov. 2015

23 j'aime

6

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

204 j'aime

150

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

190 j'aime

104

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

184 j'aime

25