Américanisme abject

Mon titre reflète sans exagération le mépris ressenti après visionnage de "La Vie est belle" du très renommé Capra. Voilà un film plein de bons sentiments sordides, ne paraissant être autres que battage & infamie dans le but de promouvoir le rêve américain ; c'est ce que je me suis dit sur le moment. Pourtant, en y repensant, tout y est bien plus profond..

Inutile de revenir sur la réalisation irréprochable de Capra, il est de bien meilleure augure de parler du génie émanant de cet homme. Capra, c'est avant tout celui qui sait (se) poser les bonnes questions : l'après-guerre naissant, les morts ayant été indénombrables, qu'adviendrait-il du monde, aussi petit puisse-t-il sembler, si "je" venais à disparaître ? C'est ici l'interrogation Ô combien ingénieuse qu'il soulève : à l'époque, le film a dû envoyer une énorme claque aux familles des victimes, se reconnaissant très certainement à travers leurs proches disparus, comme si ces derniers n'avaient jamais existé. On leur laisse un monument, une célébration annuelle, puis on les oublie sans regret. Ainsi va la vie, pourrait-on dire ; chacun existe à un temps T, puis cesse d'exister pour que le monde continue d'aller sans lui.
Capra, c'est aussi celui qui sait "mettre en oeuvre" ses idées fondatrices, sans laisser une miette au hasard : si l'on découvre tous les souvenirs de George, c'est pour montrer à quel point son rôle dans la petite ville de Bedford Falls est primordial, & que l'importance de sa vie est titanesque pour le bien-être des gens qui l'entourent. George interprète ici le grand enfant que nous sommes tous, celui qui n'évolue qu'extérieurement, celui qui n'abandonne jamais ses rêves d'espoir, celui qui continue à entrevoir l'avenir dans des proportions démesurées ; George reste le garçon dont tout le monde a besoin pour être heureux, celui qui subit mais garde le sourire & la ténacité devant ses pairs. Ce George est interprété par le talentueux James Stewart, dont les qualités d'acteur ne sont plus contestables depuis longtemps.
Même si le film paraît bien-pensant, moralisateur à l'extrême, excessivement photogénique & utopiste, ce n'est pas faute d'un américanisme trop nationaliste ; c'est au contraire une volonté de réunion festive (en l'occurrence Noël), de réunion pacifique (la Deuxième Guerre Mondiale s'étant à peine achevée) & surtout de célébration de la vie ("le suicide est puni par la loi dans cet Etat"). On ne peut pas en vouloir aux bonnes moeurs d'autrefois ; seulement, on se serait bien passé des immondices hérités qui tourmentent tout l'intellect culturel d'aujourd'hui.

"La Vie est belle" est un hymne singulier, authentique, celui que l'on attend trop alors qu'il est là, présent à chaque instant. Capra ne cherche pas à enseigner comment vivre, bien au contraire ; sa volonté la plus pure est de montrer aux gens la beauté du monde & la chance qu'ils ont d'être "en possession" de leur once vitale. Aimons-nous les uns les autres : solidarité & pacifisme contre argent & guerre.