Labyrinthe
6.4
Labyrinthe

Film de Jim Henson (1986)

Artiste aux milles visages, David Bowie a su métamorphoser son image au grès des différents albums qui ont jalonné sa riche carrière. Ne reculant devant aucune extravagance vestimentaire, le musicien anglais a contribué à faire du rock un art à la croisée de tous les autres, créant ainsi des albums qui empruntent aux arts plastiques leur esthétique pop et au cinéma son sens de la narration. Il était tout naturel donc que les réalisateurs fassent appel à celui qui, de Ziggy Stardust à Hollywood Jack, avait déjà une bonne dizaine de personnages au compteur. Après avoir incarné un extraterrestre dans L’homme qui venait d’ailleurs, le chef d’œuvre de Nicolas Roeg, ce dernier signe avec Jim Henson (le papa des Muppets) pour incarner le rôle principal de sa nouvelle production cinématographique : Labyrinth. Faisant la part belle aux marionnettes et autres animatroniques à poils, Labyrinth met en scène Sarah, une jeune adolescente partie à la recherche de son petit frère prisonnier d’un gigantesque labyrinthe gouverné par Jareth, le roi des Gobelins – Bowie himself.


A partir d’un scénario écrit par Terry Jones (ex. Monty Python) et d’une production dirigée par George Lucas, Jim Henson dresse la cartographie d’un territoire imaginaire, qui semble s’intercaler entre celui d’Alice aux pays des Merveilles et les mondes de Tolkien. Jim Henson gomme ainsi les imperfections de Dark Crystal et oriente son métrage vers un public résolument plus enfantin : finies les histoires alambiquées à l’esthétique lugubre, place à un fantastique fun qui fait la part belle à l’humour. Sarah se retrouve ainsi plongée dans un univers de fantasy burlesque peuplé de créatures à la folie douce qui annonce celle des futurs personnages Pixar. Les péripéties se succèdent et la petite troupe de Sarah commence à s’épaissir : comme tout bon film d’aventure qui se respecte, Sarah est accompagnée par des personnages secondaires haut en couleur.


Tout comme Dark Crystal, Labyrinth est une œuvre qui s’apprécie pour son esthétique générale et pour sa direction artistique de haut niveau. A une époque où les effets numériques commençaient timidement à montrer le bout de leur nez (le générique du film est une des premières séquences de l’histoire du cinéma à être entièrement animée en numérique), Jim Henson fait le pari de l’antériorité et mise le look général de son monde sur des marionnettes et des costumes. Ce qui, pour un consommateur d’images virtuelles comme nous le sommes, pourrait apparaître anachronique, donne à l’ensemble un climat joyeusement rétro et mélancolique. La démarche d’Henson n’est pas celle d’une recherche de réalisme comme la plupart des blockbusters actuels nous en abreuvent, mais au contraire, la création d’une illusion qui afficherait sa propre artificialité. Sarah se balade dans les dédales d’un labyrinthe de carton-pâte qui semble être tout droit sortie d’un livre pop-up dans lequel tout s’anime au grès des pages tournées. De fait, Henson joue volontairement avec cette artificialité en utilisant tous les possibles permis par le medium cinématographique : le labyrinthe change de forme d’un plan à l’autre, comme si le raccord même de l’image avait une incidence sur la trajectoire du labyrinthe.


La meilleure marionnette du film reste évidemment David Bowie et son improbable collant ultra moulant à en faire pâlir les frères Jacques de jalousie. Tout en singerie, l’artiste semble prendre plaisir à jouer de son image et à évoluer dans un univers qui, comme son collant, lui va comme un gant. Co-signant la BO du film, il nous gratifie de quelques titres (dont l’entrainant « Magic Dance », reprit depuis par plusieurs groupes) qui nous rappelle quel grand musicien il a été. Pourtant, la simple présence d’une icône sexuelle telle que Bowie permet de faire dévier le film de la trajectoire enfantine qu’il paraît prendre et de l’amener sur un territoire beaucoup plus ambigu. La sexualité de Jareth, toujours contenue, semble être à fleur de peau : en cherchant à posséder Sarah il semble vouloir lui faire quitter le monde des enfants afin de la faire rentrer de pleine de force dans celui des adultes. Labyrinth, comme de nombreux autres films, traite de manière fantastique du délicat passage de l’enfance à l’âge adulte. Revoir le film sous cet angle permet d’amener une lecture riche en symboles et en interprétation qui prouve que les meilleurs films pour enfants sont ceux qui s’adressent aussi aux adultes.


Révélateur d’une période où toutes les extravagances étaient possibles, Labyrinth offre un spectacle parfaitement rodé, à mi chemin entre un film d’aventure teinté d’onirisme et une comédie musicale tout droit venue de Broadway. Les quelques longueurs du film n’enlèvent rien à sa douceur surannée qui agit, près de 30 ans après sa sortie, comme un sortilège dont on ne voudrait pas sortir.


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DeanMoriarty
7
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Créée

le 1 oct. 2016

Critique lue 257 fois

DeanMoriarty

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