Quand on regarde un film muet, on est bien sûr forcé de s'accrocher à l'image et ce que disent les regards. Dans cette veine, Robert Wiene utilise bien un décor fait d'angles aigus, de peinture sur carton et de jeux de perspective déroutants. On s'imprègne immédiatement de la folie d'un personnage que l'on ne sait pas encore atteint, et l'impressionnisme se crée principalement à partir de là. Une impression que le jeu des acteurs ne rend malheureusement pas assez ; quand Francis ou n'importe qui d'autre n'exagère pas sa gestuelle (dont la grandiloquence confine presque au grotesque), les regards ne transmettent pas l'intériorité avec suffisamment d'intensité ; peut-être parce que les plans ne sont pas assez gros - un film muet peut parfaitement en faire -, ou que l'utilisation de la lumière (lourde de sens au demeurant) uniformise parfois les visages.
Ce qui ne prive pas le reste de la mise en scène (cartons intertitres, obliques...) de rendre justice à une révolution dans l'histoire du cinéma : la première personne et la mise en abyme. L'histoire d'un fou, racontée par un fou. Tout l'intérêt est de deviner qui perd la raison au fur et à mesure de l'avancée du métrage. Est-ce le prétendu Dr Caligari qui se prend pour tel afin de percer les secrets du somnambulisme ? Est-ce Francis suite à l'assassinat d'Alan ? Est-ce Jane pour la même raison, dont les regards vagues rendent mieux les états d'âme ? Dès lors que l'histoire de Francis finit son récit, on comprend tout l'effet de la mise en abyme et que l'asile est le lieu d'ancrage dans la réalité, où les fous rêvent.
Dans ce lieu clos, où Francis ouvre sa perspective face à la réalité, chaque personnage devient potentiel sujet de l'altérité ; Cesare, Jane, le directeur... autant de fous comme de docteurs dont l'identité obscure sert de prétexte à l'histoire du fou que le film suit. Un rêve où toute les subtilités de la mise en scène se font jour, où, par l'effet de plans étroits, les personnages sont toujours très rapprochés, où la logique scénaristique ne prime pas, où le vrai film se déroule somme toute. Le lieu où la musique faite de cuivres et de percussions poignants donnent au film une ampleur angoissante à moments épars, sans malheureusement être vraiment omniprésente.