Dans une industrie Hollywoodienne majoritairement acquise, en apparence en tout cas, aux idées démocrates, Clint Eastwood libertarien assumé qui n’a jamais trouvé un gouvernement américain trop à droite y compris celui de l’actuel locataire de la Maison Blanche, construit à travers son œuvre récente basé sur des faits réels (American Sniper, Sully, Le 15h17 pour Paris) une vision alternative de la société américaine. L’histoire vraie de l’agent de sécurité Richard Jewell d’abord salué comme un héros, lorsqu’il a découvert une bombe artisanale lors d’un concert en plein air pendant les Jeux olympiques d’Atlanta en 1996 puis soupçonné d’avoir posé la bombe lui-même qui se vit cloué au pilori quand, sans preuves tangibles les autorités firent fuiter leurs soupçons à la presse, espérant le faire craquer et se confesser, sans succès. Ce sujet offre une occasion en or à ce vieux grigou de Clint pour fustiger le FBI et la presse avide de sensationnel (comme le fait justement Donald Trump) le tout emballé dans une intrigue classique de faux coupable. On y retrouve finalement le même modèle narratif que pour Sully : un homme ordinaire accomplit un acte héroïque et se voit remis en cause par des officiels et des « élites » médiocres.


Le Cas Richard Jewell est un animal étrange, un grand film d’inspiration classique émouvant et drôle dans une veine à la Franck Capra mais aussi un pur film populiste de droite qui défend les petits blancs, de la classe ouvrière qui veulent simplement servir et protéger cloué au pilori par l’establishment médiatique. Comme Sully, Le Cas Richard Jewell est imprégné des convictions libertariennes d’Eastwood façonnée par l’œuvre d’Ayn Rand, pour qui les individus extraordinaires sont en permanence entravés par des régulateurs gouvernementaux peu imaginatifs en collusion avec la presse. Le personnage de Sam Rockwell dont le bureau est orné d’un poster qui affirme qu’il craint plus son gouvernement que le terrorisme et dont la compagne-secrétaire est une réfugiée russe est sans doute lui aussi fan de l’auteure de La Révolte d’Atlas. C’est aussi une démonstration « raisonnable » du procès fait par Trump aux médias d’être des fabriques de « Fake News« . Parfois, il est exact que les médias grand public diffusent de fausses nouvelles- bien que ce ne soit presque jamais parce que les journalistes conspirent pour délibérément induire en erreur les lecteurs et les téléspectateurs. Si il se focalise sur les manquements de l’enquête il ne cite qu’une fois le véritable coupable Eric Rudolph, homophobe issu de la droite anti-avortement et n’évoque jamais ses liens probables avec les milieux suprématistes blancs. Cette omission peut se justifier au motif que l’histoire de Rudolph est sans rapport avec celle de Jewell mais on peut imaginer que le public aurait pu vouloir savoir qui a commis l’acte de terrorisme dont ils viennent d’être témoins, sans même parler du motif. Mais Eastwood toujours pragmatique, laisse de la place à plusieurs niveaux de lectures même si on se doute vers quelles interprétations certaines franges du public vont tendre. Des drapeaux confédérés apparaissent au siège du FBI et peuvent être vus comme un rappel d’une période injuste ou de la volonté d’un gouvernement fédéral d’entraver les droits des États du Sud. L’arsenal d’armes de Jewell sera vu par les plus progressistes des spectateurs comme un signe de son instabilité et de sa dangerosité potentielle, par les plus à droite comme signe de son attachement au sacro-saint deuxième amendement de la Constitution Américaine considéré comme aberrant uniquement par les élites libérales qui voient Jewell comme un beauf.


Mais au-delà de ces considérations politiques Le Cas Richard Jewell est une très bonne histoire, drôle et émouvante racontée efficacement – la mise en scène d’Eastwood est fluide et sans chichis – qui tient par la performance très plausible et profondément triste de Paul Walter Hauser (Moi, Tonya ) qui garde le film sur les rails : poignant, solitaire et vulnérable – maintenant un équilibre délicat entre le rire à ses dépends puis de son coté, le comédien a sans doute été volé d’une citation aux Oscars à cause de l’échec cuisant du film au box-office. Il fait un travail remarquable pour montrer le coté bravache un peu pathétique de Jewell, dans le rôle de son avocat Watson Bryant le jeu nerveux de Sam Rockwell, excédé quand son client semble ainsi apporter des éléments à charge aux enquêteurs, est complémentaire de celui de Hauser. Le rapport entre les deux personnages est aussi très émouvante. Hauser fait ressentir la profonde gentillesse qui se dégage du personnage et son dévouement pour sa mère, jouée par Kathy Bates (Misery) qui règle habilement sa performance sur celle de Hauser : discrète, amère, que le monde n’ait pas reconnu leur valeur. Jewell reste néanmoins une figure mystérieuse, le héros qui a sauvé des vies mais a été privée de son moment de gloire, qui voit toutes les figures d’autorité qu’il aspirait à rejoindre se révéler malveillantes et incompétentes. Eastwood et son scénariste Billy Ray (Capitaine Phillips, Hunger Games) suggèrent néanmoins que l’hypothèse que Jewell ait pu poser la bombe n’était pas entièrement absurde, il nous montre comment l’enquête s’est concentrée si rapidement sur Jewell et nous comprenons pourquoi une journaliste ambitieuse ne pouvait pas ignorer une source du FBI.


Aux États-Unis, c’est justement au sujet de leur traitement de la journaliste Kathy Scruggs (décédée en 2001 d’une surdose de drogue après avoir perdu son emploi, et être tombée en dépression ) qu’ils accusent d’avoir eu des relations sexuelles avec des sources pour obtenir son histoire qu’Eastwood et Ray ont subi les critiques les plus sévères. Il est vrai que la performance d’Olivia Wilde frise la caricature et que cette intrigue secondaire manque d’une conclusion satisfaisante du point de vue dramatique, la réalité n’ayant pas répondu aux besoins de la fiction. Pourtant, Scruggs n’est pas la méchante du film, on pourrait considérer qu’Eastwood a de l’estime à contrecœur pour elle, en dépit de son insensibilité, il montre son intelligence, son indépendance et son professionnalisme. Il semble réserver en revanche son mépris pour le personnage de Tom Shaw, un composite fictif des officiers réels, incarné par un Jon Hamm, qui joue une variation de son personnage d’agent du FBI de The Town, enquêteur miteux qui ne vacille jamais dans sa croyance dans la culpabilité de Richard même après que Jewell soit officiellement disculpé..


Clint Eastwood, son directeur de la photographie Yves Belanger (Dallas Buyers Club, Laurence Anyways) qu’il retrouve après La Mule, et son directeur artistique Kevin Ishioka (Avatar) capturent parfaitement l’époque du milieu des années 1990. La recréation de l’attentat à la bombe dans la nuit d’un concert au Centennial Park est si précise qu’elle est troublante. En empêchant le ton du film de devenir trop sombre et en générant une vraie sympathie pour son personnage principal, Eastwood a conçu un récit engageant (quoique romancé) malgré un dernier acte un peu long du triomphe d’un homme ordinaire sur l’establishment, un récit toujours efficace, même si l’identité des représentants de ces deux camps est ici influencée par les orientations politiques du réalisateur de 89 ans.

PatriceSteibel
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le 7 avr. 2020

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