août 2010:

Quel beau film! Je n'en reviens toujours pas. Vive le dvd également! Le cercle rouge a été le premier film que j'ai acheté en VHS.

Et ce n'est qu'en le visionnant sur ce dvd (j'ose à peine imaginer le bonheur du blu-ray) que je découvre la superbe photographie d'Henri Decaë. Étant donné cette constante dans la filmographie colorée de Jean-Pierre Melville, on peut tout aussi bien lui en attribuer le mérite. Ces pastels teignent le fil en bleu ou vert pâle. La persistance du bleu surtout dans les décors, papier peint, tapis, meubles fait penser que Melville cherche ici à donner une allure métallique à son film. Le soin pris à créer une esthétique propre fait partie des attraits que je lui préfère. Le style très sec, la douceur et la légèreté des mouvements de caméra s'ajoutent au travail photographique et produisent un spectacle très plaisant.

Le monde du silence auquel le cinéaste nous convie rappelle tous ses autres films, un univers de taiseux où l'acte prime, est valorisé bien plus que l'argent. L'amitié et la fidélité aux contrats moraux que se font les hommes passent par dessus tout. La manière dont Melville filme la rencontre et l'accord tacite qui s'institue entre Delon et Volonte est par excellence un très grand moment du cinéma melvillien : discours succinct, des plans larges et qui se rapprochent jusqu'à que les visages prennent tout le cadre, l'intensité des regards, la simplicité des décors, un champ boueux, une charrue, la voiture et le vide aux alentours, le bruit de la nature.

Le travail fait sur la bande son est également formidable, que ce soit dans le feutré et furtif casse, ou bien lors de l'évasion de Volonte avec la cadence décroissante que produit le passage du train sur les rails, le souffle de Volonte pendant sa course ou sur la musique très forte et musclée dans la boite de nuit de François Périer où Delon et Montand se rencontrent, un brouhaha tout en contraste avec le mutisme des personnages, un camouflage réussi.

Cette remarquable cohérence stylistique se distingue également dans le choix systématique porté sur les voitures de marque américaine. Toutes le sont et révèlent mieux que quiconque les influences du "noir" chez Jean-Pierre Melville.

Dès lors, pas étonnant qu'il soit attaché à créer une photographie plus proche du noir et blanc, une sorte de bleu et blanc argenté, un bleu si pâle qu'il en parait gris. L'histoire est pleinement "noir", dans tous ses aspects. Surtout tous les personnages sont condamnés dès le départ. On peut noter à cet égard que le scénario parvient à renverser les valeurs bourgeoises. Les flics se comportent comme des voyous, manipulent la pègre, jouent au chat et à la souris tandis que les gangsters apparaissent comme les plus réglos et droits, des personnages pour qui l'honneur n'est pas un vain mot. En effet, Delon commence par se faire justice au début du film, allant chercher l'argent que lui doit un ancien partenaire qui l'a lâché pendant sa détention pour mieux lui piquer sa femme. Le relation entre les trois casseurs ne souffrent d'aucune anicroche. A la vie à la mort, Volonte et Montand seront toujours fidèles à Delon qui pourra compter sur eux dans les moments difficiles, jusqu'au bout. L'argent n'est pas forcément le moteur de leurs agissements : Montand participe au casse car il y trouve la force de lutter contre son alcoolisme et faire la nique à l'institution policière qui, elle, l'a abandonné à son sort. Dans ce cercle rouge, il vaut mieux se fier aux criminels qu'aux agents de l'ordre dont la pourriture d'esprit émane de la tête. Le supérieur de Bourvil (Paul Amiot) exprime une vision de l'humanité des plus étriquées et amorales : c'est son cynisme désespéré et asséché qui le rend plus abject que les malfrats en fin de compte.

Il fallait pour incarner cette pesanteur des comédiens confirmés. Alain Delon commence à se faire des cernes, un physique marqué propre à souligner la lassitude d'un personnage qu'il maitrise parfaitement.
Pas évident au départ de s'habituer à la voix française doublée de Volonte, ni à sa coiffure ample et frisée mais son travail est pour le moins sobre et juste.
On ne pourrait en dire autant d'Yves Montand qui hérite, il est vrai, d'un personnage pour lequel le risque d'en faire des caisses est élevé. A part la fin de la scène du délirium tremens, son boulot est plutôt correct tout de même, voire bon.
Bourvil est déjà mourant quand il accepte ce rôle. Il finit sa carrière avec son prénom André au générique car le personnage n'a rien à voir avec le reste de sa filmographie, il est dur, froid, grimaçant de douleur et de tristesse. Sa véritable souffrance sert son rôle : la fatigue se lit aisément sur son visage et dans sa démarche.
Ce qui est étonnant, c'est que les personnages secondaires, de François Périer à Pierre Collet, sont au diapason, dans l'économie.

Le film demeure linéaire, comme le destin de ces hommes qui vont tous dans le cercle rouge, quoiqu'ils fassent, prédestinés, comme nous le promet le carton pré-générique citant Krishna. La destinée toute tracée. Rouge ou noire?

Magnifique film. Immanquable.
Alligator
9
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le 14 avr. 2013

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Alligator

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