Sir Henry de Baskerville est mort ! Mort !
Consternation. Watson, nous avons échoué: le chien l' eu, comme il a eu tous les autres Baskerville.
Mais ... de la lumière ? Sous la porte ? Qu'est-ce que ...
Soudain, sans crier gare, d'un mouvement brusque,Sir Henry de Baskerville sort de son fauteuil tel un diable de sa boîte !
C'est à l'aune de cette scène que métaphoriquement on peut décrire le film.


Nous sommes en 1959 et la Hammer, célèbre firme de monstres, sorte de Chair de poule bien avant l'heure et au cinéma, décide de livrer sa propre adaptation du Chien des Baskerville, l'aventure la plus célèbre du non moins célèbre détective consultant nommé Sherlock Holmes.


En tant qu'adaptation du roman prise pour elle-même en dehors de tout contexte, on peut être très déçu. Une adaptation très très libre qui cumule les passages retranchés et les libertés prises.
Bien des déductions de Holmes sont gommées, comme la scène de l'examen de la canne de Mortimer pour deviner qui il est. Le Docteur Mortimer est d'emblée présent et en pleine consultation. N'était la chaussure volée de Sir Henry, rien ne reste du passage londonien si ce n'est que des scènes d'intérieur; Londres s'efface devant la lande du Dartmoor comme la barbe de Mortimer, complètement glabre. D'autres scènes sont modifiées au profit de coups de théâtre. C'est par exemple le cas de la mort présumée de Sir Henry qui s'avère être Selden. La déduction de Holmes au sujet de l'identité du cadavre est trouée avec la surprise effrayante du retour inopiné de celui que l'on croyait tué.
Et si l'on se penche un tant soit peu sur cet écart esthétique, on confessera qu'il est tout de même bien trouvé de faire durer un suspens que Conan Doyle écourte. Surtout dans le but de nous surprendre à la façon d'un jump scare (même si celui-ci a vieilli).
A cela, on comprend que, pour apprécier le métrage, il faut non pas le voir comme une adaptation de Conan Doyle mais comme une réécriture sauce Hammer, sauce sang !


Pour cette raison, le film commence avec la légende dans ce qui semble la source d'inspiration de La Belle et la Bête de Disney. La première image se centre sur des vitraux d'un château et bien vite apparaissent Sir Hugo de Baskerville vêtu comme le méchant Gaston et sa future victime vêtue comme la Belle. Une poursuite dans des bois noctambules et le destrier qui refuse d'aller plus loin: une bête attend, cachée.
La légende tiendra un rôle essentiel dans un film qui cherche presque à nous convaincre de sa réalité. Les coupables - car oui, cette fois, ils sont plusieurs - semblent possédés par une force qui les dépassent bien qu'ils conservent un mobile similaire. Pour renforcer cet effet tragique, le film ajoute à la légende une pierre sacrificielle sur laquelle Sir Hugo aurait tué une femme avec un couteau bien précis. Ces deux éléments deviennent les instruments cruciaux d'un rite nécessaire à l'assassinat d'un Baskerville, prêtant aux événements rationnels du roman original un tour magique, un zeste de sorcellerie. Cette trouvaille en particulier gêne lorsque l'on aborde le film en amateur holmésien et non en fanatique de la Hammer.
Car tout est bien dans l'esprit de la Hammer: l'horreur et l'épouvante sont censés prendre le pas sur l'enquête.
La morne lande déserte diurne qui devient un lieu lugubre la nuit, mettant en relief ses ruines, ses lierres rampant, ses ciels bleus crépusculaires zébrés d'argent, ses effets de lumières verdâtres. Et la parcourant, les cris de loup du terrible chien mythique ! Les décors de Bernard Robinson, décorateur emblématique de la Hammer, exploitent avec brio la plupart des éléments imaginés par Conan Doyle. Ainsi les sables mouvants, les marais tendent leurs pièges au promeneur imprudent: Watson manque de s'y enfoncer et l'un des deux criminels s'y noie. Ainsi, on explore en profondeur les mines, que ne représente vraiment en dehors de cette adaptation que celle de 1972 avec Stewart Granger, et on y piège Sherlock Holmes dans un éboulement !
Outre les décors, certaines péripéties sont repensées de manière à créer l'angoisse. Les lettres d'avertissement sont par exemple remplacées par une mygale qui, comme dans le futur Dr No de 1962, se promène, menaçante, sur l'épaule de Sir Henry.
Outre ces nouvelles péripéties, ce sont les personnages qui participent à faire de cette aventure holmésienne un film de revenants à la Hammer. Le vieux juge à la retraite et astronome Frankland devient, par exemple, un évêque et perd d'ailleurs son nom au profit de cette fonction ecclésiastique propre aux films de vampires. Stapleton est reconnu sur le tableau représentant Sir Hugo non par sa ressemblance physique mais par une difformité palmaire commune aux deux mauvais Baskerville: Stapleton est un monstre tant au sens physique qu'au moral.


Beryl n'est plus sa femme présentée comme étant sa soeur, une femme violentée contrainte à séduire Sir Henry et cherchant à l'avertir: elle est sa fille Cécile et sa complice volontaire. De plus, elle n'a plus rien de la jeune femme civilisée; c'est une sauvageonne farouche, qui court dans la lande. Une femme aux expressions du visage démoniaque lorsqu'elle tient sa proie entre ses griffes.


Selden n'est pas en reste ! Certes très anecdotique, le bagnard évadé apparaît toujours au moment le plus inattendu et avec une dégaine à faire pâlir un mort ! Il n'y a bien que le chien, rachitique, qui ne fait pas peur ! Quant à Sherlock Holmes, il effraie tout autant réapparaissant sans encombre quand on le croyait enseveli et faisant sa rentrée, quand on le croit à Londres, au beau milieu de ruines gothiques, vêtu d'une cape qui lui donne un faux air de Comte Dracula !


Reste le casting et le crew, typique d'un film de la Hammer.
Terence Fisher, le réalisateur des films les plus célèbres consacrés entre autres à Dracula et à Frankenstein, à la réalisation; Bernard Robinson aux décors, plusieurs visages bien connus de la Hammer en second rôles et, au premier plan, les deux monstres les plus célèbres de la firme, Peter Cushing (Star Wars, Docteur Who) et Christopher Lee !
Le premier campe ici un excellent Sherlock Holmes aussi agaçant par son mépris, sa pensée vagabonde, qu'effrayant par ses dramatisations - voir la scène du couteau, qui a certes un peu vieilli, que rassurant et héroïque. A son côté, André Morell, éternel second des héros.
Le second, Christopher Lee, est l'emblème même de ce film hybride mi-adaptation libre de Conan Doyle mi-classique de la Hammer. Vedette fétiche de Terence Fisher, figure de proue de la firme, il est aussi un visage familier des adaptations holmésiennes, tour à tour Henry de Baskerville, Mycroft Holmes (La Vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder) et même Sherlock Holmes (Le Collier de la mort, Sherlock Holmes and the Leading Lady, Incident at Victoria Falls). Il campe ici un Sir Henry plus autoritaire et disposant de plus de caractère que tous les autres Sir Henry de Baskerville.


Une adaptation qui vaut donc plus pour son ambiance, sa réécriture horrifique, insistant sur l'inquiétante étrangeté, privilégiant le surnaturel et le légendaire.
Mais un beau film tant sur le plan visuel que sur le plan de l'écart d'adaptation choisi.
Un classique de la Hammer à voir. Un Sherlock Holmes particulier à voir.

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le 28 janv. 2019

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Frenhofer

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