En quelques lignes :


Porvenir, trou infect au fin fond de l’Amérique latine, n’est plus qu’une prison pour les quatre hommes qui s’y sont réfugiés, chacun pour ses raisons. Afin de réunir assez d’argent pour en repartir, ils acceptent de convoyer sur des routes approximatives un chargement hautement explosif.


Et en un peu plus :


Baudelaire, qui n’a pas que des qualités, disait toutefois du commerce qu’il est par essence satanique, parce qu’il est le prêté-rendu, « le prêt avec le sous-entendu : Rends-moi plus que je ne te donne ».


Peu de chose l’illustrent avec autant d’évidence que la lecture du box-office américain au fil des années. Deux tableaux valant mieux qu’un long discours, jetons un œil à celui de 1977 ainsi qu’à celui de l’année dernière, encore intouché par le COVID.


Indépendamment de la nostalgie passéiste pour laquelle, même en ce qui concerne les visites chez le dentiste, « C’était mieux avant », on peut relever deux faits. L’homme d’affaire avisé notera que les montants sont un peu plus conséquents aujourd’hui. Le cinéphile averti ne pourra pas s’empêcher de remarquer que pour un film prolongeant une franchise en 1977, on en trouve huit en 2019, auxquels s’ajoutent deux remakes.


Parcourez les box-offices des années précédentes, vous constaterez peut-être que cela illustre une tendance du cinéma moderne… entendons par là du cinéma tel qu’il est consommé, tel qu’il se vend... mais inévitablement aussi, l’argent restant le nerf de la guerre, tel qu’on le produit et donc tel qu’il se fait.


Quel rapport avec Sorcerer, direz-vous ?


D’une part, indépendamment de leur succès critique, les deux précédents films de son réalisateur, The French Connection et The Exorcist nichaient aux box-offices de 1971 et 1973 (respectivement en 3e et en 1ère position). Friedkin n’est donc pas un outsider, mais un réalisateur jusque-là bankable.
D’autre part, comme son titre francophone de Le convoi de la peur le laisse à penser, Sorcerer est le remake du Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot.


Que dire donc, sinon du mal, de ce remake qui fut un échec critique et surtout commercial ? De ce remake abandonné progressivement par les stars qui avaient été pressenties par Friedkin pour incarner ses personnages, Steve McQueen, parce que le réalisateur refusait d’y faire de la place pour son épouse, Lino Ventura, parce que le retrait de McQueen l’inquiétait, Marcello Mastroianni parce qu’il avait à faire juridiquement à l’époque, Robert Mitchum parce que, quitte à tomber d’un camion, il préférait le faire chez lui plutôt qu’en Equateur ? De ce remake aux ambitions démesurées, au tournage chaotique et dispendieux, grand pourvoyeur de paludisme et de gangrène ?


On peut en dire qu’il s’oppose à la majorité des remakes et des reboots modernes qui nous cuit et recuit à partir de chaque franchise le même plat insipide pour faire le beurre des producteurs. Sorcerer, à défaut d’être un bon investissement, refond et prolonge avec audace l’œuvre qu’il revisite, la réinvestissant de nouvelles valeurs. Son intrigue devient pour Friedkin une métaphore d’un monde malade, dont le long prologue nous offre quelques aperçus, avant de le condenser dans cet infâme clapier ironiquement appelé Porvenir auquel il n’existe pas d’issue parce que tous les chemins finissent par y mener. Sorcerer n’est pas davantage un film facile, reposant sur des ficelles éprouvées, afin de plaire à coup sûr aux foules. Il tient davantage du pont de lianes fatigué, jeté au-dessus de flots tumultueux : on s’y engage sans être certain de voir l’autre côté. Car il dérange par sa narration distendue, sa galerie de sales types, son voyage hallucinatoire, sa conclusion pessimiste.


Sorcerer pourrait ainsi être vu comme une tentative de s’extirper d’un Porvenir cinématographique, dont chaque lendemain ne serait qu'une copie misérable de la veille.


Et en quelques images :


Bande-annonce alternative.

FenêtresSurCour
8

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Saison 2020-2021 - En voiture, Simone!

Créée

le 11 nov. 2020

Critique lue 211 fois

1 j'aime

Critique lue 211 fois

1

D'autres avis sur Le Convoi de la peur

Le Convoi de la peur
Gand-Alf
10

L'enfer vert.

Dédié au cinéaste Henri-Georges Clouzot, "Sorcerer" est en effet un remake de son film "Le salaire de la peur", ou plutôt une seconde adaptation du roman de Georges Arnaud. Souhaitant au départ...

le 18 janv. 2015

66 j'aime

Le Convoi de la peur
DjeeVanCleef
9

Le cas des espérés

À plat sur la toile, Roy promène son regard halluciné comme s'il voulait capturer les éclairs d'électricité qui dansent autour de lui. Je sentais que la fin du film approchait et j'aurais bien pu...

le 25 févr. 2016

54 j'aime

6

Le Convoi de la peur
ltschaffer
10

Voyage au bout du Styx

A l'occasion de la ressortie de Sorcerer par La Rabbia, j'en profite pour remettre à jour une ancienne critique de cette version restaurée, rédigée alors qu'elle avait été présentée à la Cinémathèque...

le 29 oct. 2012

54 j'aime

7

Du même critique

Elephant Man
FenêtresSurCour
8

Plutôt Man qu'Elephant

En deux lignes :Un médecin londonien prend sous son aile un jeune homme atteint de difformitésmonstrueuses.En un peu plus :Elephant Man est un monument du cinéma des années 80. Il s’agit d’un film...

le 26 avr. 2023

1 j'aime

Alien - Le 8ème Passager
FenêtresSurCour
8

Du ballon de plage au bistrot gruyérien

En deux lignes : A l’occasion d’une étape imprévue lors de son retour vers la Terre, le cargo spatial Nostromo embarque à son insu un organisme extra-terrestre mortel. En un peu plus : En 1979, un...

le 16 sept. 2022

1 j'aime

Le Bon, la Brute et le Truand
FenêtresSurCour
8

Antitypologie en trois leçons

En deux lignes : Durant la guerre de Sécession, trois fines gâchettes se mettent en quête d’un trésor caché. En un peu plus : Il existe deux types de cinéma, prétend-on souvent. Le cinéma de...

le 1 sept. 2021

1 j'aime