Que le Cuirassé Potemkine pose les bases d’une grammaire cinématographique, c’est évident. Qu’il soit techniquement presque impeccable, et pas seulement « pour l’époque », je ne le nie pas. Que la scène du landau soit une merveille absolue, d’accord. Que la musique soit en parfaite adéquation avec l’image, c’est encore vrai – avec un morceau de Marseillaise en prime, oui.
Mais aussi le Cuirassé Potemkine est d’un manichéisme insupportable. On est d’accord : film de propagande, œuvre de commande, tout ça ; oui ; mais ça n’empêchait pas d’éviter le pathos à outrance. Et ça, par contre, c’est daté : considérer qu’il suffit, pour défendre une cause, d’exposer des scènes de liesse et des martyrs – les pauvres matelots mal nourris ! le pauvre bébé ! –, de dresser des parallèles entre des sous-officiers et des vers, et de faire intervenir un personnage de prêtre complètement aliéné. (D’ailleurs ça vaudrait la peine de se demander si le film a vraiment produit l’effet escompté ; je veux dire, est-ce qu’en sortant de la projection, des gens ont été confortés dans leur sentiment bolchevique, ou se sont dit « C’est une sacrée histoire, tout ça, en définitive les tsaristes sont des salauds, je vais passer du côté communiste de la force » ?) Il est vrai que les films de propagande aujourd’hui sont généralement en couleurs, durent quelques dizaines de secondes et on les voit même quand on ne veut pas les regarder – c’est moins manichéen…
Pour le reste, le film d’Eisenstein ne fait pas exception à la règle selon laquelle le jeu d’acteurs dans les films muets fait de la peine à voir. (Oui, je sais, ça s’explique par l’absence de paroles qui force à faire passer toute l’expression par d’autres biais ; il n’empêche que ça fait de la peine à voir.)
Ça ne fait pas du Cuirassé Potemkine un mauvais film. D’ici à parler de chef-d’œuvre intemporel…