Toujours difficile à convaincre Quentin Dupieux nous revient plus surprenant que jamais. Après un épuisant « Au Poste ! », ce dernier renoue avec l’absurde à l’état naturel, comme on l’avait remarqué dans « Steak », « Rubber », « Wrong » et « Réalité ». Rien ne peut mieux définir son style si tourmenté et pourtant si réfléchi. Cet homme, aurait-il des limites dans la conception de ses œuvres, dont il multiplie les casquettes entre réalisateur, scénariste et chef opérateur, entre autres ? Pas forcément. Il vient de démontrer que le surplace, ou la stase d’un personnage, suffit amplement à divertir et à ouvrir des perspectives audacieuses pour le spectateur. Il a donc pris goût dans la direction de stars et il poursuit avec un grand Jean Dujardin, dans le corps de Georges, ce même corps qui s’associe à un blouson iconique.


Nous aurons de cesse de se poser des questions, mais la rationalité, les mathématiques et l’équilibre doivent rester à la porte de la séance si l’on veut prétendre à la comédie proposer. Peut-être un peu difficile d’accès, l’œuvre trouvera tout de même preneur, car la mise en scène surprend, autant que le cadre qui limite la lecture des enjeux. Si le programme se veut simple et intimiste : filmer pour faire un film, toute l’épopée de Georges n’a rien à voir avec une carapace en Daim. Le plus évident et le plus exploité seront à exclure de toute interprétation. Tant d’arcs narratifs sont inachevés, mais rebondissent sur un ressort comique inattendu. Souvent noire, elle occupe de plus en plus le cadre de façon impromptue, tandis que les effets sonores multiplient les faux suspenses. La subtilité de ce langage justifie à elle seule, les performances sur lesquelles les comédiens et le récit s’alignent. La magie opère rapidement et on finit par être séduit.


De plus, il est nécessaire de porter un regard particulier sur le personnage clé d’une intrigue qui vire efficacement dans la paranoïa, puis dans le thriller horrifique. Le désordre, en mentionnant « Pulp Fiction », est un moteur singulier pour le projet de Georges et sa veste. On le personnifie alors peu à peu, jusqu’à ce qu’il abandonne son âme pour une nouvelle. On y croit, car le cadre réconforte dans la précision et dans le poids des détails. S’ensuit une croisade audacieuse et hilarante, qui les mènera vers Denise (Adèle Haenel), aspirant à réinventer le cinéma. Elle constitue le symbole de l’hommage et de l’héritage derrière la folie, qui s’apparenterait à l’aspect expérimental des précédents films. Tous ces traits de caractère sont propres au réalisateur et on devine aisément la manœuvre, presque arbitraire de sa réalisation qui s’autorise des libertés à plusieurs niveaux.


Si la comédie populaire nous lasse de plus en plus, « Le Daim » tranche avec un rafraîchissement de premier ordre, en rappelant toutefois qu’il faut, au préalable, avoir cotisé mentalement avec Dupieux, sous peine de perdre pied ou bien plus encore. Si on cherche des réponses dans l’immédiat, aucune fortune ne sera à l’arrivée pour nous accueillir. Il faut accepter ce voyage contemplatif et paradoxal, liant un homme perdu et une veste qui pousse les désirs aux vices. Si on peut tout de même reconnaître un certain hommage écologique, sur la régression de l’humain à l’état primitif, jusqu’à devenir son propre gibier, il y a fort à parier que l’incertitude sera le fin mot de la descente aux enfers d’une panoplie 100% daim, matière capricieuse et controversée.

Cinememories
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le 28 juin 2019

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