Dès le début, le plaisir est là : cet homme qui jette sa veste dans les WC d'une aire d'autoroute, provoquant une inondation. Pas de dialogues, on le voit au volant d'une voiture ringarde, à l'image de sa future tenue. Tout comme la teinte délavée de l'image, l'ameublement de la chambre d'hôtel, le prénom du héros - Georges - ou son langage ("ils m'ont envoyé un fax"). Tout est déconnecté de notre époque et de notre monde, Georges semble vivre hors du temps.
Le rire naît du sérieux avec lequel Georges considère son "style de malade", revêtu de ce blouson trop court, auquel "il ne manque pas une frange", et qu'il paye une fortune. En ce sens, le film a un côté burlesque, on pense à Buster Keaton faisant les pires folies avec une concentration et un sérieux qui déclenchent le rire.
Oui, l'absurde est là, mais pour Georges, tout est normal et il comprend mal qu'on se contente d'un "cool" pour désigner son futal, ou qu'on ne le prenne pas au sérieux comme cinéaste avec un tel blouson. Il va entraîner dans sa folie Denise (autre prénom ringard), qui ne s'offusquera pas de le voir
trucider allègrement tous les porteurs de blouson.
Humour noir autant qu'absurde, tout à fait réjouissant. On pense au Bertrand Blier des débuts, le bon, celui de Buffet froid ou de Tenue de soirée. Dupieux déroule sa logique implacablement, se souciant comme d'une guigne de vraisemblance :
Denise lui donne son argent sans hésiter (et se fait même engueuler parce que ce n'est pas assez !), Georges survit des jours entiers sans jamais manger, la police n'enquête pas sur des massacres à répétition pourtant assez peu discrets... Peu importe. Au contraire, ces invraisemblances servent le film, l'installant dans une implacable fantaisie.
Pas mal de belles trouvailles qui alimentent la bonne humeur, comme lorsque Denise explique qu'elle a remonté Pulp Fiction - d'un autre Quentin - "dans l'ordre", et conclut en lâchant : "eh ben, c'est nul".
Lorsque Georges dézingue une fille à son volant comme il a tranché une pastèque un peu plus tôt. Ou lorsqu'il jette dans une fosse commune les blousons en leur lâchant des coups de pieds hargneux. Du mystère aussi, avec ce personnage de jeune garçon silencieux, qui suit Georges obstinément. Sa conscience ?... qu'il anéantira d'une pierre, signant, on le découvrira à la fin, sa perte. Et le suicide à la carabine du réceptionniste qui avait enfilé son alliance sera comme un signe précurseur de sa propre fin.
On pourra voir dans le film une mise en abyme, le héros étant un cinéaste constamment à la recherche de fonds, bricolant pour faire ses films, prisonniers de ses névroses, déconnecté de son époque. Un autoportrait de l'auteur ? Le connaissant mal, puisque c'est le premier film de lui que je vois, cet aspect n'est pas celui qui m'a le plus passionné.
Jean Dujardin, loin de ses prestations outrées d'OSS 117 ou de Brice de Nice (très convaincantes aussi), fait merveille, tout en sobriété. Accoudé au bar, cadré par en-dessous, il ressemble même furtivement à un daim. Et, quand il reconnaît avec simplicité, face à Denise : "oui, je suis seul", c'est assez touchant.
Enfin, bravo pour la durée : le film y gagne en cohérence et en force. Bien envie d'en savoir plus sur cet étonnant cinéaste.
7,5