Ravages de la passion et stratégie du confinement,la magie des années 70.Paul est un américain établi à Paris où il tenait un hôtel avec sa femme,laquelle vient de se suicider.Jeanne est une jeune bourgeoise fiancée à un cinéaste débutant.Tous deux se rencontrent par hasard en visitant un appartement.Immédiatement,une attirance animale surgit entre eux et ils baisent direct,après s'être à peine parlé,dans cet appart où ils vont prendre l'habitude de se retrouver.Le film est connu pour avoir suscité un retentissant scandale dû à quelques scènes de sexe gratinées qu'on pourrait résumer par le titre d'un porno sorti peu après et finement intitulé "Coupe-toi les ongles et passe-moi le beurre".Mais c'est beaucoup plus que cela,"Le dernier tango" étant un fascinant opéra de sexe,d'amour et de mort.Produit par Alberto Grimaldi,celui de la "trilogie des dollars" de Sergio Leone,le film est écrit et réalisé par un Bernardo Bertolucci particulièrement inspiré,dont les cadrages sont étourdissants et qui a une façon unique d'aller chercher les personnages dans le champ à l'issue de mouvements de caméra parfaits.Il nous emmène dans un Paris qui n'a rien de touristique.Ici,tout est laid,sale,déprimant,d'allées sombres sous le métro aérien en rues crades aux murs graffités,d'immeubles décrépits en appartements poussiéreux.Il en va de même des personnages qu'on croise brièvement tout au long de l'histoire,qui sont tous bizarres et inquiétants.Cette ambiance délétère semble provenir de la vision désespérée de Paul,sous le choc du décès de son épouse,et se trouve renforcée par la musique jazzy dégénérée de Gato Barbieri,les tableaux déments de Francis Bacon apparaissant dès le générique d'ouverture,les intérieurs bordéliques où s'entasse un bric-à-brac d'objets hétéroclites,le tout étant soutenu par la photo au grain épais du grand Vittorio Storaro.Bertolucci nous conte une histoire d'amour tragique rendue impossible par un mauvais timing.Paul et Jeanne sont manifestement faits pour s'aimer mais leur rencontre intervient trop tard et trop tôt.Trop tard parce que l'homme est vieillissant et la fille très jeune,trop tôt car ce type est sous le choc d'un deuil terrible et pas prêt à aimer de nouveau.Il se crée alors entre eux une étrange relation basée uniquement sur le sexe et les rapports de force,du sado-masochisme intense.Paul conçoit l'appartement comme un lieu à l'écart du monde et de la vie réelle,un endroit où il peut tout oublier,jusqu'à son nom,et sa partenaire comme un remède à sa douleur,un corps sublime dont il peut profiter à loisir,un exutoire idéal.Jeanne y trouve son compte car elle prend goût à cette violence,à cette soumission,et tombe sous la coupe de ce mec torturé,désagréable et mystérieux,dont elle ne sait rien mais qui la fait jouir et sait se montrer totalement puéril et l'entraîner dans des délires qui répondent à cette enfance proche dont elle ne s'est pas encore dépouillée.C'est une femme moderne à la croisée des chemins,peinant à trouver son équilibre entre ce vieil amant drôle et dominateur et Tom,le gandin raisonnable avant l'heure qui est son petit ami.Paradoxalement,c'est l'ancien qui entretient sa jeunesse irresponsable et le jeune qui la tire vers un âge adulte peu exaltant.Elle est déchirée entre son éducation traditionnelle qui la pousse vers Tom,synonyme de mariage,d'enfants,de respectabilité,et les nouvelles aspirations héritées de mai 68 et de la révolution sexuelle,qui la font pencher vers Paul,synonyme de baise effrénée,de folie furieuse,et bizarrement de liberté.En effet,le brutal Paul ne lui demande rien,pas même son nom,alors que le gentil Tom cherche subtilement à la contrôler,par exemple en faisant d'elle le sujet de son film sans même lui demander son avis ou en décidant de la date de leur mariage sans la consulter.Mais ça ne marche pas comme ça et l'histoire de Paul et Jeanne n'est qu'une parenthèse enchantée,une suspension dans le temps,car on ne peut passer sa vie planqué dans un appartement sordide.Les choses évoluent et il faut faire des choix.Inévitablement,les barrières vont tomber,les personnages se livrer l'un à l'autre,les sentiments apparaître et parasiter cette relation si simple à la base.Jeanne tombe follement amoureuse de Paul,ce qui pour lui est impossible à accepter.Il s'enfuit et la jeune femme se résigne à choisir Tom,presque soulagée finalement d'échapper à cette aventure mortifère.Paul,réalisant qu'il a fait une épouvantable connerie et qu'il est lui aussi amoureux de Jeanne,et comment ne pas l'être,revient vers elle mais il est trop tard.D'autant que la fille s'est sans doute aperçue que ce qu'elle aimait au fond,ce n'était pas cet homme mais la relation si spéciale et mystérieuse qu'ils entretenaient.Débarrassé de son mystère,de sa violence,de ces séances torrides en vase clos,Paul devient un homme ordinaire,un type trop vieux pour elle qui n'a pas grand-chose à lui apporter.Tout ne reposait en somme que sur l'excitation d'un fantasme réalisé,un moment destiné à passer et désormais disparu.Bertolucci parsème son film de rencontres insolites,de dialogues de sourds,de flambées de violence ou de références cinématographiques,comme cette bouée sur laquelle est inscrit "L'Atalante".Il se paie en outre la tête de la Nouvelle Vague dans les grandes largeurs à travers le personnage de Tom,ce jeune réalisateur phraseur et évaporé qui disserte sur la géométrie du plan et la sociologie de l'époque pendant que sa jolie fiancée se fait bourrer par un vieux schnock dans un appart douteux.Cet histrion vibrionnant fait irrésistiblement penser à Jean-Luc Godard,d'autant qu'il est interprété par Jean-Pierre Léaud,un des acteurs phares de la NV.D'ailleurs,les scènes entre Tom et Jeanne sont tournées ironiquement à la Godard,avec ces déplacements très chorégraphiés des comédiens,ces décadrages osés,ces dialogues vides et prétentieux débités par des acteurs qui parlent faux.Le réalisateur s'amuse aussi en mettant des doubles partout:la double vie amoureuse de Jeanne,celle de Rosa,la défunte épouse de Paul,avec l'incroyable scène des robes de chambre,les prénoms doublés,le cousin et amour d'enfance de Jeanne s'appelait Paul et Tom veut baptiser la fille qu'il pourrait avoir avec Jeanne Rosa,comme Rosa Luxemburg dit-il.Il y a aussi les vendeuses de robes de mariées qui sont deux et qui sont jouées par deux actrices soeurs.Il fallait bien sûr pour un tel projet des comédiens hors-normes,et là on est servis.Marlon Brando,le génie à l'état pur,livre une de ses plus grandes performances et se donne complètement dans ce rôle compliqué.Pas facile non plus pour Maria Schneider,la fille de Daniel Gélin,qui pour sa première apparition en vedette doit faire face à un monstre sacré du cinéma et s'abandonner à de nombreuses scènes des plus scabreuses.Elle se révèle stupéfiante de naturel et de beauté sauvage,à la fois salope mutine et ingénue innocente,dans ce qui restera le rôle de sa carrière.Il se raconte beaucoup de conneries à son sujet,notamment que ce rôle l'aurait détruite,elle et sa carrière,qu'elle aurait été violée sur le tournage et autres légendes urbaines.Les scènes de sexe sont évidemment simulées,quiconque a déjà vu un porno le remarque instantanément,quant à sa carrière parlons-en.Quand elle a été choisie pour ce film,elle n'était qu'une petite actrice inconnue,qui le serait peut-être bien restée sans ce rôle.Certes,le scandale provoqué par "Le dernier tango" l'a placée dans la ligne de mire des défenseurs de la morale,encore nombreux à l'époque malgré la libéralisation des moeurs prévalant en ce début des seventies.Mais l'orage est passé,Maria a eu d'autres rôles,notamment en vedette du "Profession:reporter" d'Antonioni,avec Jack Nicholson,excusez du peu.Elle n'a pas tourné énormément et n'a sans doute pas eu la carrière qu'elle méritait,mais le showbiz est aléatoire et les films qu'elle a faits n'ont pas marché,c'est surtout ça le problème.Et puis,c'était une fille assez bohème qui n'a pas toujours joué le jeu du business.Elle est morte prématurément en 2011,à 58 ans.Jean-Pierre Léaud est impeccable en ludion survolté obsédé de ciné,et les seconds rôles apparaissent peu mais sont marquants.Il y a le grand acteur italien Massimo Girotti en rival amoureux de Brando,une Catherine Allégret toute jeune et mince en femme de ménage fascinée par le suicide de Rosa,les frangines Breillat,Marie-Hélène et Catherine,en vendeuses de robes de mariées et,en concierge foldingue,l'immense Darling Légitimus,la grand-mère de Pascal,qui aura tardivement son heure de gloire dans le magnifique "Rue Case-Nègres" d'Euzhan Palcy.

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le 7 mai 2020

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