LE DISCIPLE (15,2) (Kirill Serebrennikov, RUS, 2016, 118min) :


Ce drame intense dresse le portrait de Vienamin, un jeune lycéen en proie à une crise mystique dont son intensité va faire basculer son rapport avec sa mère, ses camarades et la hiérarchie de l’établissement scolaire, l’adolescent n’ayant plus comme unique référence : les Écritures. Débarqué à Cannes cette année à la sélection « Un Certain Regard » avec le film Le Disciple récompensé du Prix honorifique François Chalais (premier grand chroniqueur cinématographique) le réalisateur russe KIrill Serebrennikov était plutôt connu en France pour ses mises en scène de théâtre. On se souvient de son adaptation singulière du film Les idiots (1998) de Lars van Trier sur les planches du Festival d’Avignon en 2015. Cette fois-ci il inverse le processus créatif en adaptant la pièce Martyr de Marius Von Mayenburg publiée en 2012 pour ce projet cinématographique. Dès l’impressionnante première séquence d’introduction où la nouvelle caméra ALEXA (plus légère) brille pour magnifier la chorégraphie des déplacements du jeune homme et de la mère dans un premier conflit où avec ironie et stupéfaction la maman (fautive aux yeux du fils de Dieu car divorcée), découvre l’intérêt de son fils pour les saintes Écritures, l’ambition cinématographique se dévoile pleinement. Par de nombreux plans séquences privilégiés aux champs contre champs la mise en scène n’aura de cesse d’accompagner ce jeune homme dans sa croisade, par le biais d’images dont la puissance visuelle marque les esprits entre plans oniriques, métaphysiques voire fantastiques (vision du christ et de fantôme). Une mise en image au service d’un mécanisme scénaristique irréversible tant la foi de ce jeune homme chamboule toutes les morales et les croyances dans un pays orthodoxe, comme en faisant changer les lois du lycée, notamment en faisant interdire les bikinis lors des cours à la piscine. Dans une autre scène d’éducation sexuelle où la prof de biologie utilise des carottes et des capotes le jeune homme se mettra entièrement nu pour dénoncer le pêché de chair. Cette professeure étant la seule à vouloir s’opposer frontalement : « Il faut utiliser les mêmes armes que lui. » dit-elle au corps enseignant, lors de conseil de discipline face à cet ado séduisant, qui plaît aussi bien aux filles tentant de le charmer qu’à un jeune garçon estropié. Cet ado handicapé va se trouver endoctriné auprès les paroles du militant fanatique, devenant « le disciple » du gourou catholique au point d’accepter par amour physique également envers VIenamin, de commettre un attentat pour éliminer Elena la prof de biologie. La trame narrative habile interroge avec pertinence sur la relation entre le religieux et le pouvoir, chaque résistance ou remise en cause du jeune homme (toujours bible en main et habillé de noir) par un tiers trouve une réponse biblique par des versets d’une violence assez glaçante et illustré à l’écran de différentes manières par des incrustations diverses sur l’écran, leur donnant pleinement corps au grè des déplacements du personnage. Par ce dispositif théâtral notamment on peut parfois reprocher au réalisateur de vouloir un peu trop enfoncer le clou mais la dimension du dernier volet du film atteint une tension paroxysmique assez sidérante. Entre un chemin de croix effectué sous la puissante musique industrielle (style interdit de diffusion en Russie) du groupe métalleux slovène Laibach avec le titre bien nommé « Go dis God » et le dernier conseil de discipline imprégné par Dostoïevski le cinéaste démontre tout son savoir-faire. L’auteur nous offre un éprouvant pamphlet anticlérical qui démontre intelligemment la forme de mysticisme du pouvoir et l’endoctrinement de masse ou comment la radicalité peut annihiler toutes formes de résistance et faire ressurgir des relents homophobes, antisémites etc résonnant particulièrement avec l’actualité sous l’ère Poutine et faisant écho au chef d’œuvre Leviathan (2014) d’Andrei Zviaguintsev . Une parabole édifiante et un portrait glaçant porté par l’étonnant jeune acteur Petr Skvortsov au visage anguleux totalement habité par son rôle et bien entouré par tout un casting aux interprétations sans faille. Une œuvre qui marque en France la naissance d’un talentueux cinéaste très prometteur à suivre dans ses prochains projets cinématographiques. Venez-vous confronter avec foi à ce drame exigeant dont le talent est au cœur de Le disciple. Ambitieux, prenant et radical !

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le 24 nov. 2016

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