Kirill Serebrennikov n’est pas n’importe qui. D’abord metteur en scène, au théâtre, il résiste tant bien que mal avec ses spectacles face au courroux du Kremlin, qui dans sa grande tolérance lui retire les subventions étatiques. Cinéaste également, il fait de Le Disciple, son quatrième film, une œuvre morale dans laquelle un adolescent, subitement pris d’amour pour la Bible, en dehors de tout dogme religieux, créé ses propres interprétations à partir des écrits sacrés. S’enfonçant dans la solitude, sans en souffrir véritablement, Veniamin va chambouler sa mère, manipuler ses camarades et le corps enseignant, s’opposer sans cesse à tout argument d’autorité scientifique, égalitaire en avançant sa propre intolérance, légitimée en apparence par sa connaissance quasi-parfaite du Livre. Face à lui, une professeure de biologie, seule contre tous, tente d’enseigner sa discipline malgré les invectives d’un côté, le chahut permanent des élèves et une hiérarchie abrutissante. De fait, le premier défaut de Le Disciple est de nous montrer la même rhétorique scénaristique, une bonne vingtaine de fois dans le film, qui s’en dépatouille dans de rares instants de grâce, comme lors du chemin de croix de Veniamin. L’adolescent est confronté à une situation du quotidien, en cours, à la maison, à l’extérieur, avec ses camarades de classe. Dégainant son livre, il cite tour à tour les évangiles, l’ancien testament, le lévitique, avec une phrase prise au choix en fonction de son apparente adéquation. S’ensuit le foutoir, la surenchère biblique, des tentatives de raisonnement dans le camp adverse, et les plus enclins à la mollesse de conclure par leur veulerie en éludant le comportement de Veniamin, lui donnant potentiellement raison. Outrage pour certains, dédouanement pour la plupart. Et le processus recommence, jusqu’à la fin.


Le Disciple ne vaut pas grand chose, en termes de cinéma : pas spécialement bien filmé, il signale non pas la paresse de son réalisateur, dont on sent la bonne volonté, mais une forme d’impuissance, qui si elle est presque révoltante n’en demeure pas moins désespérante. Les cadrages ne sont pas très beaux. Les passages d’une scène à l’autre, sans coupure, ainsi que les musiques sont l’atout majeur du film, d’autant plus que Serebrennikov a pour lui le mérite d’avoir décidé de la bande-son en fonction du montage, et non pas l’inverse, en se calant sur le son et son rythme, comme dans la plupart des cas. Cela dit, c’est beaucoup plus simple quand les deux heures de Le Disciple ne comportent que deux morceaux, dont un qui tourne en boucle. En dehors des citations bibliques, avec incrustation de la source, les rares moments où le réalisateur essaie de nous montrer autre chose sont là pour leur apparent symbole, leurs références christiques (on y revient sans cesse), et ne comportent aucun apport, ni en joliesse, ni pour la trame de l’histoire. A croire que sans Veniamin, joué par Pyotr Skvortsov, excellent dans son rôle, Serebrennikov ne sait que faire de son histoire à la dynamique centripète. Le manque d’épaisseur est d’autant plus flagrant que la fin, médiocre, est servie par une ellipse aussi grotesque qu’incohérente. Elle donne une autre version de la foi, ingénue, celle d’une croyance qui se nourrit d'elle-même, parce que sinon, c’est la porte ouverte au nihilisme. Il faut croire, voilà ce que nous dit Serebrennikov.


Mais pour défaire et neutraliser l’ennemi, on repassera. Le problème de Le Disciple, c’est qu’il semble avoir été écrit uniquement en fonction de la Bible. Impossible de penser, vu son omniprésence dans les dialogues que pour chaque situation Serebrennikov est allé chercher une citation dans toutes les pages qui permette à chaque fois de donner une réponse appropriée. C’est probablement l’inverse qui s’est passé : quelques notes sur des références parmi les plus connues, et le reste du scénario qui vient se plaquer par dessus, comme lorsqu’on assemble les pièces d’un puzzle. Le tout ne manque pas de logique, tout en perdant considérablement en fluidité. Par extension, cela ne fait pas de Veniamin un bon rhéteur. Une fois compris le système, le spectateur attend forcément de voir comment les démonstrations passables de l’adolescent seront démontées par les adultes qui lui font face. Malheureusement, et de façon exaspérante, on a droit au bal des imbéciles, qui simulent leurs yeux subitement ouverts, dans une hypocrisie qui conforte Veniamin dans sa pseudo quête. Plusieurs plans viennent nous montrer l’ultime lutteuse, toute occupée à coller des post-it remplis de bouts de Bible. L’attente montre le bout de son nez, enfin un personnage pour lui mettre une bonne claque ! Si la tarte, appliquée prestement par la main survient lorsque le n’importe quoi atteint son paroxysme, la démonstration de la stupidité des applications littérales des écrits religieux dure cinq minutes, montre en main.


C’est bienvenue, mais c’est beaucoup trop court. Le récit se conclue par des méthodes d’activistes d’ONG, pour une situation sans commune mesure, où la démonstration de l’incapacité à défaire implacablement un discours extrémiste pose surtout des questions quand aux volontés des idéologies dites « de gauche ». Loin de vanter un certain optimiste, Le Disciple ne fait que renforcer en cela la maussaderie générale.

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le 27 nov. 2016

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