En voilà une belle de vache sacrée qu’on aime détester, massacrer parce-que ça fait « genre » et peut-être un peu rebelle, mais alors juste un peu. Faut dire aussi que ça parle d’amour, tout en douceur en plus ! Quelle horreur ! L’amour au cinéma doit être souffrance, torture et désespoir, point de place pour la tendresse et les caresses. Cette version fantasmée de Paris ça ne le fait pas non plus, Paris c’est moche, gris, pollué et plein de chauffeurs de taxi imbuvables. Voilà grosso modo le genre de réflexion à 0,1 € qui a mené en leur temps les Inrocks à qualifier, avec la bêtise qui les caractérise, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de film lepeniste !

Ils sont passés à côté du film et ça n’est pas plus mal, car se retrouver à aimer les mêmes films que tous les grincheux et les mauvais coucheurs, franchement ça met mal à l’aise. Pourtant, ce film mérite d’autres qualificatifs infiniment plus flatteurs, comme l’originalité de sa réalisation et de sa mise en scène. On connait bien le style de Jean-Pierre Jeunet, cette volonté de créer un univers à la fois décalé et enchanteur, à la frontière entre rêve et réalité. Il livre ici sa plus belle partition, la poésie n’est plus seulement écrite, elle prend aussi forme dans les images d’un Paris « village », qu’il suffit d’un peu de bonne volonté pour accepter tel quel.

Jeunet aime les personnages légèrement à la marge et ne se prive pas ici de nous laisser apprécier ces anormaux toujours savoureux, mélancoliques parfois, antipathiques de temps à autres. La révélation restera dans les mémoires Audrey Tautou qui, habillée avec des rideaux de cuisine, parvient à dégager un charme un brin désuet mais jamais nostalgique. Elle minaude, fronce les sourcils et lance à Mathieu Kassovitz des sourires qui font fondre d’espièglerie les cœurs les plus endurcis. Pourtant, ses compagnons de jeu ne sont pas pour autant des faire-valoir, ils dessinent chacun à leur manière un paysage, un univers ou une atmosphère.

Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain a un charme fou et inaltérable, tout ça parce qu’il assume totalement d’être ancré dans une réalité fantasmée, presque parallèle. La fabuleuse bande-son, qui colle au film comme une moule à son rocher, lui apporte cet entrain qui fait qu’on se rêve assis à la terrasse d’un café parisien, en pleine happy hour, sirotant un cocktail par une fraiche soirée d’été lorsque la ville est abandonnée par ses habitants. Ce film est naïf, désuet, nostalgique et totalement fantasmé, mais lorsque la réalité pèse sur les épaules comme sa hotte sur le dos d’un vigneron, on imagine bien que ce n’est pas d’un film de Bergman dont on a besoin.

C’est un film doudou, un excellent carburant pour repartir à l’assaut et pour peu qu’on se laisse faire, ce film sera émouvant aux larmes et donnera à chacun ce petit plus d’oxygène qui manque dans une sinistrose généralisée. Une petite bulle de plaisir simple, qui suggère que le bonheur n’a pas besoin d’écran LCD, d’iPad ou de smartphone pour venir dessiner un sourire béat sur les visages des plus indécrottables râleurs. Mais enfin, si après ça les râleurs tiennent absolument à continuer de râler, grand bien leur fasse…
Jambalaya
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le 30 août 2013

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Jambalaya

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