La famille Bonzini est une famille heureuse. Le père et la mère, gérants d'une très appréciée Pataterie dans une magnifique zone commerciale, s'entendent à merveille. L'un de leurs fils, Jean-Pierre, est un brillant commercial et son mariage n'a sûrement jamais aussi bien fonctionné. L'autre frère, Benoît, travaille dans l’événementiel avec un gros succès, et a une vie sociale très agitée. A eux quatre, ils représentent une allégorie du bonheur. Mais voilà: je raconte n'importe quoi depuis le début.
Not (Jean-Pierre), interprété par Benoît Poelvoorde, est un punk à chien à qui la vie ne fait plus aucun cadeau. Il faut dire qu'il n'en mérite pas. A la vie de ce déchet de la société va se mêler celle de son frère (Albert Dupontel), qui chute dans une dépression nerveuse entre le rapprochement de son divorce et l'annonce de résultats décevants dans ses ventes de matelas visionnaires. A eux deux, ils vont tenter d'accomplir le Grand Soir, ce soir durant lequel tout est possible.
Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel réalisent là une performance commune magistrale. Le français atteint un échelon supérieur par la complexité de son rôle, passant d'homme rangé à punk assouvi. Face à eux, la caméra désabusée et amusée du duo -Delépine-Kervern immortalise un film qui sait sans problème nous faire rire, mais qui a plus de mal à faire apparaître chez nous de la tristesse. En réalité, ce n'est pas le but recherché. Abordé d'un angle de vue comique, Le Grand Soir a la force de faire passer cette pauvreté de la société actuelle comme s'il s'agissait d'une pure comédie. Le sujet, déprimant au possible, n'a aucun problème à passer, mais le traitement réserve malgré cela un questionnement profond sur ces personnes qui nous entourent et qui inquiètent que sont les punks.
Cependant, le film ne va pas pour moi assez loin. Le final, bien qu'assez intense, manque de profondeur et ne permet pas de totalement entrer dans leur univers. Je ne critique pas là la façon dont le scénario traite cette fin, puisque le film avait pris à mes yeux, avant cela, une direction - notamment au niveau du comique de situation, poussé jusqu'au bout - qui empêchait sans doute de terminer autrement. Mais je garde l'impression que le final est trop plat par rapport au reste du métrage, bien plus poussé. J'ai pris, durant le visionnage de ce film, un plaisir rare pour une production française, et je regrette d'être resté sur ma faim quand le générique est arrivé.
Mené par un duo d'acteurs aussi flamboyants que minables, Le Grand Soir trouve dans le sens comique de ses scénaristes et dans la gravité de ses images un souffle à la fois frais et pesant. L'atmosphère qui règne fait mal à voir puisqu'elle représente avec précision et fatalisme la France actuelle. Mais il règne tout de même, tout au long du film, une très légère et effacée note d'espoir (notamment la scène du manège), qui fait sans doute de ce film une représentation sommaire mais bien réelle de la vision actuelle de Delépine et Kervern.