La fin d’un monde
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Situé juste après Rocco et ses frères dans la filmographie de Visconti, Le Guépard se situe nettement en-deçà de ce dernier, et ce malgré le faste déployé et les financements colossaux notamment pour le casting de rêve mais aussi les décors toujours aussi somptueux et grandioses.
Tout d'abord le mérite du récit revient avant tout à l'écrivain Guiseppe Tomasi di Lampedusa qui a signé le roman éponyme dont s'est largement inspiré Visconti. Et si celui-ci a opéré quelques coupures ci et là ou des rallongements de scènes ailleurs, il suit, malgré tout, fidèlement l’œuvre qu'il adapte. La vraie différence se situe dans le point de vue du réalisateur, épousant (au point de se confondre avec lui) celui de son personnage principal, le Prince Salina (l'imposant Burt Lancaster) et se rangeant ouvertement du côté d'une aristocratie qui, bien qu'elle soit vieillissante, (littéralement) poussiéreuse et décadente, représente selon eux un moindre mal en comparaison à la République à venir des "chacals et hyènes" de la bourgeoisie.
Visconti, à l'image du neveu Tancrède (Alain Delon) qui retournera avec ruse plus d'une fois sa veste (fils d'aristocrates puis luttant auprès de Garibaldi le révolutionnaire et enfin lieutenant de la République), opère donc un nouveau virage politique après ses engagements avec le communisme italien et revient à ses sources nobles. La dimension sociale n'est pas pour autant éclipsée; néanmoins, la pauvreté, jadis au centre de ses films réalistes, n'apparait qu'en arrière-plan, comme une tâche venant souiller le faste et la pompe aristocrates meublant les intérieurs. Ceci ne l'empêche pas d'accorder toujours autant d'importance à la beauté de ses sujets; ainsi, s'il fallait reconnaître une véritable touche de génie dans Le Guépard, nous soulignerions en premier lieu ces décors si souvent et justement loués - et ce avant la photographie qui, en dépit de quelques scènes de familles proches du tableau de maître (on pense à la mode des "portraits d'intérieur"), est loin d'être aussi soignée que ce que l'on a pu dire (la copie de mauvaise qualité ayant endommagé la couleur et la lumière du film n'aidant pas). Le choix des costumes va de pair avec ce souci maniériste, la scène du bal venant clore le film illustrant à merveille ce travail monumental abattu pour reconstituer une époque dorée où l'on ne se privait d'aucun apparat pour séduire et faire montre de sa magnificence.
A l'instar de ces aïeux, Visconti voulant en mettre plein la vue à son public ne lésine pas sur les moyens et s'offre l'une des plus belles actrices du moment: Claudia Cardinale. Cependant, en faisant d'elle une femme vulgaire (rire grossier, minauderies et regards concupiscents) à l'opposé du livre où elle se fondait à son nouveau milieu qui l'adoptait, Visconti l'enferme dans son rôle d'actrice sulfureuse dont le jeu, collant beaucoup trop à son image contemporaine, la rapprochant des photos de pin-up ou anachroniquement des films érotiques (voire plus si ...) - ce qui est évident lorsqu'en voyant son bien-aimé elle se mord les lèvres d'ardent désir. De même, en glissant d'assez longues scènes de guerre ou de danses galantes sans relief, en misant sur des dialogues simplistes et une réflexion plutôt plate, il décide de réaliser une production plus "grand public" et moins profonde, se confondant ainsi avec le personnage du Prince Salina, obligé de condescendre à convier les gens du peuple au sein de sa noble famille.
Ce "goût aristocratique de plaire" (pour renverser une citation de Baudelaire) lui vaudra tout de même une palme d'or pour, selon nous, l'un de ses films les moins réussis .
Créée
le 1 août 2017
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