Le Hérisson dans le brouillard
7.7
Le Hérisson dans le brouillard

Court-métrage d'animation de Youri Norstein (1975)

Article (trop) universitaire écrit en Décembre 2018


Sorti en 1975, Un hérisson dans le brouillard est un film russe d’animation réalisé par Youri Norstein, scénarisé par Sergueï Koslov. Pendant ce court film de dix minutes nous suivons le périple d’un petit hérisson qui cherche à rejoindre son ami l’ourson. Pour cela il traverse et découvre le monde qui baigne dans un épais brouillard. Le film est ponctué de rencontres et découvertes. Ce sont les feuilles des arbres portées par le vent ou les silhouettes d’animaux difficilement perceptibles qui viennent comme des apparitions aux yeux du hérisson. Le film est alors un jeu constant entre le caché et le dévoilé qui est appuyé par la texture si flou des environnements. La direction artistique qu’a mise en place Francesca Iarboussa, la femme de Youri Norstein, est un élément crucial pour mieux appréhender le film car c’est par l’esthétique que le fond du conte arrive à émerger. Le film est une invitation pour plonger dans l’imaginaire de l’enfance et la peur de l’inconnu. Nous essayerons lors de l’analyse de cette œuvre de répondre aux questions suivantes :


Comment traduire cinématographiquement un conte pour enfant ?
En quoi l’animation s’affirme comme un vecteur d’imaginaire ?


Pour essayer de répondre à ces problématiques, nous adopterons un plan thématique en trois parties. Nous verrons que le film accorde une grande importance à la représentation de la nature, ensuite nous aborderons la question de l’imagination et des peurs de l’enfance et enfin nous développerons l’idée que le court-métrage du cinéaste russe expérimente également son médium.



LA NATURE BRUMEUSE



L’omniprésence de la nature comme toile de fond sera le point de départ de notre analyse. Youri Norstein nous invite, comme son personnage principal, à découvrir le monde. Ainsi, au premier plan nous voyons le hérisson avancer, il est suivi par un mouvement de traveling vers la droite. Ce mouvement de caméra reproduit en animation permet d’immédiatement de nous identifier à ce personnage qui explore la nature inconnue. À l’arrière-plan, nous contemplons la brume qui inonde et gomme les détails pour ne devenir que de la matière, au premier plan nous suivons la dégaine hasardeuse du hérisson en papier découpé, et enfin, en amorce, des morceaux sombres, des branches d’arbres balayent l’image. Ces multiples couches étendent l’univers, le diversifient et le rendent insaisissable. Ce procédé simple permet d’être plongé dans l’univers et la palette de couleurs grises adoucit les formes. Pour mieux comprendre cet effet visuel de couches superposés qui suivent le mouvement continu de la marche, il est intéressant de comprendre techniquement comment Youri Norstein et Franceska Iarboussova ont élaboré leur animation en utilisant du papier découpé sur cellulo.



« Surplombant un décor et un personnage sur cellulo, positionnée grâce aux ergots, une caméra filme le plan de travail grâce à une potence, instrument appelé « banc-titre » (…) Des procédés plus complexes ont ensuite été inventés, de manière artisanale d’abord comme on le voit dans Les aventures du prince Ahmed de Lotte Reiniger (…) ou Youri Norstein, afin de filmer non pas un seul plan 2D, mais plusieurs plaques de verre (et de dessins) à une certaine distance l’une de l’autre, simulant ainsi une profondeur de champ, des flous optiques et des effets anamorphiques. » Sébastien Denis, Le cinéma d’animation, p. 17



Ainsi le résultat de flou et de brouillard si présents dans le court-métrage est le fruit d’un double procédé.


D’abord, il y a la représentation du brouillard peint par la main des animateurs qui permet de rendre l’atmosphère plus opaque, plus dense qu’à l’ordinaire, ensuite, il y a le véritable flou optique capté par la caméra en choisissant volontairement d’ouvrir le diaphragme de la focale ce qui permet de réduire drastiquement la profondeur de champ et par conséquent le flou. L’effet obtenu décuple alors la sensation que l’arrière-plan est moins net et il devient difficile de déterminer une distance précise entre le hérisson et le brouillard derrière lui mais cet effet permet aussi de détacher le hérisson du décor. Le premier plan avec l’animal bien net se détache du fond et nous sommes alors directement liés au personnage principal qui évolue dans ce lieu. De ce fait, l’animation du film s’avère être le résultat de la création pure par le dessin mais elle est également empreinte d’une grande part de réel, car le brouillard est le résultat d’un phénomène optique de captation. Le brouillard devient alors pour nous, spectateurs, réel, car une confusion profonde née : il est impossible de déterminer si le flou est de l’animation où s’il est le résultat d’une prise de vue réelle. C’est à partir de cela que le film développe sa narration, nous sommes comme le personnage principal perdu dans le brouillard et nous essayons de combler ces troubles de la perception. C’est alors que nous recréons mentalement tout le hors champ du film. Appuyé par les sons et la musiques nous savons qu’il y a de la vie dans cette vapeur et que tout un univers inconnu y réside. L’histoire souligne efficacement cela, en effet, le hérisson perdra à un moment son sac de provision et il essayera de le retrouver dans cet environnement. Ce qui était un parti pris esthétique sensoriel devient alors au fil du film un enjeu de suspense et d’intrigue. La matière devient difficile à appréhender et les échelles de distances sont déstabilisantes.



« Les objets qui sont vus dans le brouillard paraitront beaucoup plus grands qu’ils ne le sont réellement, cela vient de ce que la perception du milieu interpolé entre l’œil et son objet, ne garde par la proportionnalité de la couleur avec la grandeur de cet objet, parce que la qualité de ce brouillard est semblable à celle d’un air épais et confus (…) et l’objet semblera plus petit quand il sera vu dans un champ plus clair et d’une blancheur intense, tellement que l’air nébuleux étant plus blanc en bas qu’en haut, il est nécessaire que l’obscurité d’une tour paraisse plus étroite au pieds qu’au sommet » Léonard de Vinci, Traité de peinture, p. 110-111



Ce que nous dit Leonard de Vinci concorde avec la sensation de grandeur et de profondeur que procure le brouillard, il est d’ailleurs accentué par le fait que nous sommes positionnés à ras du sol pendant tout le film, et que le personnage principal est de petite taille. Ainsi, quand les feuilles arrivent du hors champ interne pour se jeter sur nous, elles deviennent de plus en plus nettes et cette sensation de grandeur rime alors avec menace. L’animation joue sur ces échelles et le médium est affranchi à la fois du réalisme et de la conception plastique pure.



« Le cinéma d’animation est plus à même de remplir la tâche du cinéma, parce qu’elle est plus libre, plus autonome par rapport à la matière. C’est là qu’est sa supériorité. » Youri Norstein, Entretien avec Joubert-Laurencin, 1997




L’IMAGINAIRE ET LE RÊVE



L’exploration dans Le Hérisson et le brouillard est fragmentée, comme nous le disions précédemment, nous ne découvrons pas directement le cheval dans le brouillard, nous voyons l’animal à travers le brouillard qui agit comme un filtre qui tord la réalité. De la même manière, Youri Norstein nous montre la chouette dans le reflet d’une flaque d’eau, ainsi son corps fait échos à cette figure du cheval déformé, c’est une forme d’appel à l’imaginaire et au monde onirique. Si nous nous doutons que la figure nébuleuse que l’on observe dans le brouillard est un cheval, la perspective de le découvrir est complètement fantasmé, nous ne pouvons jamais être complètement certain de l’aspect qu’il a.



« Les discours mêmes que nous rencontrons dans le contenu du rêve ne sont jamais des discours originaux, ce sont des mosaïques où l’on retrouve toutes sortes de fragments empruntés à des discours que le dormeur peut avoir prononcés entendus ou lus ; la mémoire a conservé ces fragments, le rêve les reproduit littéralement, mais il a oublié leur sujet et en transforme le sens de la façon la plus surprenante. » Sigmund Freud, Le rêve et son interprétation, p44



Comme le décrivait Sigmund Freud, nous assemblons tout comme dans un rêve ces fragments et nous créons un sens nouveau qui est finalement peut-être éloigné de la réalité. Dans une interview accordée au site rbth.com, Norstein nous disait :



« Quand il est sorti, les parents m'accusaient de faire peur aux enfants. Le dessin animé touchait la corde sensible du petit. Je sais de quoi je parle : quand ma petite-fille avait deux ans et demi, c'était un bonheur pour elle de regarder ce dessin animé. Mais un an plus tard, elle quittait la pièce durant les scènes faisant peur pour ne revenir qu'à la fin. » Youri Norstein entretien pour le site rbth.com (https://fr.rbth.com/longreads/iouri-norstein-france/)



Le film use des mécaniques du rêve et du cauchemar. Nous complétons les formes incomplètes par l’imagination et un phénomène proche de ce que décrivait Freud avec son « inquiétante étrangeté » se produit. Si l’environnement nous semble si familier et rassurant, il arrive que des zones soient obscures, plus douteuses et c’est alors qu’un phénomène de crainte se crée. Nous reviendrons un peu plus tard, dans la seconde partie, sur les effets qu’a utilisés Youri Norstein pour accentuer cette peur.


Cette fragmentation dans la découverte du réel est soutenue par l’usage particulier du son. Le son étend le cadre avec des motifs récurrents d’instruments, de bruitage et de cris d’animaux. L’exemple du hululements du hibou est trivial, mais il est important car il permet de maintenir un fil rouge tout au long des dix minutes de film. Quand il apparaît à l’image, il est anticipé et appréhendé par le hérisson et par extension, le spectateur. Le hibou apparaît, mais nous le savons déjà à l’avance, nous l’avons imaginé dans le flou ou dans les taches d’ombre des plaques supérieurs de cellulo qui balayent l’écran comme des amorces en mouvement.


Ces réflexions autour de la peur et de l’imagination nous mènent vers des réflexions qui permettent de déployer l’imaginaire et l’identification : le point de vue du hérisson. Afin de préciser l’analyse nous prendrons davantage des séquences précises afin de nourrir notre travail d’analyse.
Tout au long du film le cinéaste russe déploie un film qui adopte le regard du hérisson, en effet si le début du film supporté par la voix off du narrateur pourrait nous laisser croire que l’histoire serait racontée avec une certaine omniscience et un détachement, nous nous rendons rapidement compte que le point de vue est éminemment interne et se confond avec les yeux du personnage principal. Souvent les histoires de Youri Norstein illustrent des rencontres avec des personnages inconnus, la notion d’altérité transcende son œuvre. Comme nous l’explique Pascal Vimenet à propos du film Le héron et la cigogne, un autre film de Norstein réalisé un an plus tôt en 1974.



« Le traitement qu’en propose Youri Norstein est extrêmement riche. Au-delà de l’annecdote immédiate de la rencontre difficile, voire impossible, entre le héron et la cigogne, vient s’inscrire une exigence qui laisse apparaître le thème profond du film : l’interrogation sur l’autre, le différent l’étranger… » Pascal Vimenet, Un abécédaire de la fantasmagorie : Variations, p.66



Nous retrouvons exactement ces thèmes dans Le Hérisson dans le brouillard, ici la rencontre est davantage dans l’atmosphère qui nous enrobe, dans l’inconnu et l’étranger. Cette interrogation sur l’autre que soulignait Pascal Vimenet passe par l’esthétique et la primitivité d’un personnage qui avance dans un décor qu’il ne connaît pas, contrairement au Héron et la cigogne qui utilisait plutôt des dialogues. Chaque élément de mise en scène essaye de renouveler la perspective, mais ces éléments ne font que souligner à chaque fois d’une manière différentes et inédite que le film est un ensemble de rencontres inattendues. En effet, dès les premières secondes du film, après que le narrateur nous ait annoncé que le hérisson a pour habitude de rejoindre son ami quand la nuit s’installe, le traveling horizontal qui suit le hérisson de profil progresser dans la nature fait apparaître d’énormes masses sombres. Ces masses envahissent parfois l’image pour ne laisser que de petits fragments de lumières ou quelques nuances et tentatives d’éclaircissement dans l’obscurité, ces aplats ne nous écrasent pas, elles accompagnent le mouvement et s’en vont alors vers la gauche tandis que l’animal avance vers la droite.


Ces zones d’obscurité nous laissent imaginer des petits bois, des parcelles de forêt que traverse le hérisson, ainsi par cette mise en scène tout en mouvement et en suggestion nous plongeons immédiatement dans un monde étranger et cela se confirme justement par la suite car c’est dans ce morceau de forêt que le premier personnage étranger du film surgit : la chouette. Beaucoup plus imposante que le hérisson, nous la voyons se faufiler derrière le hérisson sans que ce dernier ne la voie. En une minute, avec ce traveling, Norstein pose le décor et les thèmes principaux de son film. Ce qui affirme l’efficacité de son procédé est l’importance accordée aux décors car ils se meuvent tout comme un personnage, que ce soit par ce balayement constant que provoque le traveling, mais également par les variations de lumière qui viennent dévoiler ou cacher les détails, ou par le vent qui vient parfois faire voler les feuilles d’arbre ou animer les herbes. Youri Norstein disait d’ailleurs que chaque élément a une importance dramatique dans l’animation, que rien n’est le fruit du hasard ().



UNE PARTITION EXPÉRIMENTALE



Avançons un peu plus loin dans le film, lors de la première rencontre avec le cheval blanc. Cette fois-ci la réalisation change et adopte un angle de caméra différent. À ce moment le mouvement de caméra permet de confondre la vision du hérisson avec la nôtre, en effet cette fois-ci elle alterne à la fois une prise de vue qui filme frontalement le hérisson puis la caméra passe dans son dos et nous le voyons qui s’engouffre dans la végétation. Le moment choisi pour changer l’angle de la caméra n’est pas anodin, car il arrive quand le hérisson grimpe une colline ce qui a pour résultat de décupler la perspective : La colline devient alors une montagne et le cheval un animal gigantesque.


Aussi, cette dynamique d’ascension combinée avec le grand animal immaculé dans la brume lui confère un aspect proche de l’apparition. Comme un être divin qui émerge dans le brouillard, le cheval est accompagné de la voix du hérisson qui se questionne sur ce qu’il voit. Enfin, cette séquence est portée par la musique. Il y a alors un phénomène que décrivait Michel Chion qui se déroule.



« Nous appelons effet empathique l’effet par lequel la musique adhère ou semble adhérer, au sentiment dégagé par la scène et en particulier au sentiment supposé être ressenti par certains personnages : deuil, saisissement, émotion, allégresse, amertum, joie, etc. » Michel Chion, La musique au cinéma, p.228



C’est à ce moment précis que le hérisson décide de « voir le brouillard de l’intérieur », la musique nous permet de dévoiler alors les sentiments du hérisson, la peur l’assaille et l’inquiétude de ne pas savoir ce que vit dans atmosphère épaisse sont alors au cœur ce qui meut le hérisson. La musique est un vecteur qui porte l’image fortement. Ce sont par exemple des instruments à corde menaçants qui accompagnent la silhouette de l’éléphant qui respire, où ce sont des percussions proches de clochettes qui amorcent le mouvement brutal d’une chauve-souris qui se jette vers le cadre. Le procédé n’est pas particulièrement inédit, il n’est pas sans rappeler un certain goût pour le cinéma muet où chaque action était accompagnée d’un son ou d’un bruitage que l’on faisait à l’orgue de cinéma. À outrance, Youri Norstein effleure même le principe du « mickeymousing »(), où le son est parfaitement synchronisé avec l’image.


Toutefois, le réalisateur n’en reste pas là. Un peu plus tard, le hérisson perd son sac de provision dans le brouillard et c’est alors la musique qui s’emballe, le tempo augmente et le montage se transforme. La musique devient alors tout autre, elle devient plus un cri qu’un sentiment. La musique n’est plus uniquement là pour essayer de souligner ou de dévoiler un sentiment profond et caché, elle devient un moteur qui accélère les images, qui décuple le nombre de coupes. Tout se fragmente, se rétracte et s’éclate pour ne laisser qu’un élan qui dessine toute la panique et le suspense de la scène. À ce moment du film, nous plongeons dans une parenthèse qui effleure le cinéma expérimental, l’accélération des images et des coupes est un effet de « flicker » (effet de clignotement obtenu par l’alternation rapide de deux images de deux plans différents d’un film mis bout à bout). Le résultat est tel que les deux plans deviennent presque subliminaux, ils se confondent et se superposent, à peine avons-nous le temps de comprendre ce que l’image nous montre que déjà l’image devient autre. Cela fait naître un sentiment de simultanéité à deux événements distincts qui n’ont pas lieu en même temps. Ainsi, dans le film de Norstein, nous avons l’impression d’être attaqué de partout. Nous voyons apparaître un escargot sous une feuille, mais il disparaît, nous revoyons le cheval, l’éléphant, la chouette, le hérisson fait les cent pas et court de gauche à droite à la recherche de son sac, et il finit par trébucher dans l’herbe, et alors seulement, le montage se calme. Comme un effet comique qui vient relâcher toute la tension de ces quelques secondes intense, nous découvrons alors un chien en très gros plan qui respire abondamment. Ce sera cet animal qui rendra au hérisson son sac de provision, implicitement Youri Norstein nous dit qu’il n’y avait pas de raison de paniquer ou d’avoir peur, tout finit par se remettre en place, le calme revient toujours. Cela se confirmera avec la séquence suivante où le hérisson s’allonge dans l’eau et se laisse porter par le courant en contemplant la voute céleste.


Ces éléments mis à la suite permettent de créer un contre-point très fort, nous passons rapidement d’un rythme à un autre, le montage s’affranchit des règles traditionnelles, il n’hésite pas à mettre des ellipses, à changer le rythme et la musique pour ensuite revenir à un calme décuplé en comparaison avec les séquences précédentes. Dans un article publié sur Strenae, dans le cadre de la sortie d’un album illustré de Un Hérisson dans le brouillard, Jérémie souligne l’importance de cinéastes plasticiens pour obtenir ce genre de résultat :



« Les cinéastes plasticiens peuvent notamment laisser les flux d’inspiration conduire le processus de production en se détachant des éléments cadres circonscrivant leurs projets (scénario, story board etc…) De cette manière, ils restent attentifs à ce qui peut émerger des phases d’expérimentation. » Jérémie Pailler, Le Hérisson dans le Brouillard de Youri Norstein : Rythmes et temporalités du film d'animation vers l'album illustré ()



Cette expérimentation dans la pratique de l’animation vient véritablement nourrir le film. D’abord elle sert l’intrigue en illustrant cinématographiquement, c’est à dire avec le son et l’image, un enjeu scénaristique, ici, la panique. De plus, l’expérimentation permet de questionner le médium cinématographique. En tordant les codes cinématographiques usuellement acceptés, l’expérimentation permet de créer une expérience nouvelle pour le spectateur du film.


Ces questionnements autour de l’expérimental nous emmènent sur la pratique et la conception des films. Il est alors intéressant de questionner les mécanismes de production qui sont derrière ce court-métrage. L’animation est longue et laborieuse et elle l’est d’autant plus que Youri Norstein travaille avec une petite équipe technique. Produit par Soyuzmultfilm, société de production dirigée par l’état, Youri Norstein a souvent été confronté à des problèmes de budget l’obligeant constamment à s’adapter et à prendre plus de temps pour faire ses films d’animation. Finalement cette contrainte est peut-être un moteur créatif. Jérémie Pailler écrivait à propos des petits studios de production dans Les expériences du dessin dans le cinéma d’animation :



« Elle s’inscrit dans des structures autonomes de type « atelier ». Si la pratique de studio soumet la recherche à un protocole, la pratique de l’atelier refère quant à elle à l’expérience. Elle admet des phases de déstabilisation et d’indétermination (…) Le travail de l’artiste concepteur ne favorise pas prioritairement l’anticipation ; il privilégie la mise à l’épreuve. » Jérémie Pailler, Les expériences du dessin dans le cinéma d’animation sous la direction de Patrick Barrès et Serge Verny.



Ainsi, une forme de liberté créatrice est obtenue par la contrainte. Ce manque d’anticipation et cette recherche permanente nous font assez ironiquement penser à ce que traverse le hérisson pendant tout le film. Pendant tout le film nous nous demandons finalement s’il va arriver à destination. Et à la fin, alors qu’il a réussi à rejoindre l’ourson, le hérisson ne peut s’empêcher de se dire près du feu de camp : « Que devient le cheval blanc dans le brouillard ? »


Nous ne savons pas et qu’importe, car ce qui compte c’est toute cette recherche. C’est cette tentative de faire un film. L’animal avance comme le réalisateur dans un univers où l’air est épais, où il est difficile d’avoir des repères. L’animation se construit image par image, et chaque image est un pas de plus dans un brouillard dense.

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le 5 juil. 2019

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